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Yasushi Inoué, La mort, l’amour et les vagues

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yasushi inoue la mort l amour et les vagues
L’amour, qu’est-ce donc au Japon dans l’après-guerre ? Est-ce l’amour de la vie qui dépend de l’honneur ? Est-ce l’amour de sa femme qui dépend de l’affection ? Est-ce l’amour d’une vie respectable qui dépend de l’argent ? L’auteur – en bon japonais – déconstruit l’Hâmour (comme disait ironiquement Flaubert) pour en montrer les composantes fondamentales pragmatiques : être bien à deux.

Ces trois nouvelles douces-amères dessinent des ombres à l’amour noir et blanc, trop souvent idéalisé et rendu abstrait en Occident. L’amour japonais est perçu comme simple et naturel entre un homme et une femme. Même si la vie en société est compliquée, l’histoire personnelle tortueuse, le regard des autres pervers : comment l’amour pourrait-il être idéal dans ces conditions embrouillées ?

La première nouvelle voit un jeune homme ruiné par de mauvaises affaires qui va trouver son nom dans les journaux de façon imminente pour scandale. Il décide de se suicider dans une station balnéaire quasi déserte, en sautant de la falaise dans la mer. Mais il ne vit pas seul ses derniers moments : il désire obstinément terminer la relation de voyage de Guillaume de Rubroek en Mongolie en 1253 ; puis une jeune femme indiquant « 23 ans » croise son chemin, elle a décidé elle aussi d’en finir, mais n’en finit pas de se décider, ni de finir. Ces deux-là vont s’accoupler pour la vie, pour revivre, parce que l’honneur ne mérite pas qu’on meure pour lui – après la guerre. « Et si j’essayais de vivre ? » n’est-il pas le message de la jeunesse japonaise en cette fin des années 1940 ? C’est en tout cas le message de l’auteur aux lecteurs.

La seconde nouvelle voit un garçon mûrir, découvrir combien l’attachement à une femme peut être ou peut ne pas être de l’amour. Il croit avoir trouvé la femme de sa vie en dernière année de lycée et son ami le plus proche, amoureux de la même, la lui cède après bagarre. Mais cette femme n’est pas de son niveau culturel, ni social, et trois ans plus tard, alors qu’il sort de l’université, il ne se voit plus faire sa vie avec elle. Il épouse plus tard une fille bien sous tous rapports – sauf l’amour qui n’existe pas vraiment entre eux. Et c’est à chaque fois au jardin de pierres et de sable du Ryôanji, à Kyoto, que se révèle la rupture. La rigueur zen oblige, ceux qui contemplent les lignes pures comme des symboles ne peuvent rester pour eux-mêmes dans le flou. Et ce n’est pas le garçon qui, pour une fois, choisit.

ryoanji jardin zen

La dernière nouvelle marque un anniversaire de mariage. De modestes personnes, dans cet après-guerre chiche en salaire, gagnent par tirage au sort une somme conséquente. Mari et femme sont économes, presque avares tant l’existence est difficile et les gens envieux. Ils décident cependant de faire un voyage en dépensant la moitié de la somme. Ils partent en train, puis en car, jusqu’à l’hôtel de la station célèbre de Hakone. Mais l’endroit leur paraît trop neuf et probablement trop cher. Ils ne demandent pas les prix mais sont d’accord pour trouver plus modeste. De fil en aiguille, d’horaires de car en perspective de passer juste une nuit et revenir, pourquoi ne pas retourner à Tokyo le soir même ? Et c’est ainsi que la somme ne fut pas dépensée mais le voyage effectué. Cet accord tacite entre eux, est-ce bien de l’amour ? Un amour minimum peut-être, mais sans lequel la vie commune ne serait pas possible…

Inoué explore les âmes par petites touches, les sites naturels forts prisés au Japon (même si le jardin de pierre est composé de main d’homme) sont les écrins somptueux qui révèlent le tréfonds des âmes. Peut-on être faux devant la nature ? Sa sauvagerie indifférente quand il s’agit de la mer, son abstraction épurée quand il s’agit du jardin zen, son luxe pittoresque quand il s’agit des montagnes et du lac, forcent les êtres à révéler leur flou intime.

Ces nouvelles touchantes et sèches comme une flèche se lisent d’un trait. Elles laissent une saveur longue, comme un vin longtemps vieilli, comme une observation d’auteur longtemps mûrie. Yasushi Inoué avait 43 ans lorsqu’il les a publiées, au sommet de son art.

Yasushi Inoué, La mort, l’amour et les vagues, 1950, Piquier poche 1999, 114 pages, €5.60
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