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Paul Doherty, L’ordre du Cerf blanc

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Paul Doherty L ordre du Cerf blanc

Paul Doherty, professeur d’histoire médiévale en Angleterre, écrit de nombreux ‘detective novels’ ayant pour théâtre l’histoire, l’époque d’Alexandre le Grand ou l’Angleterre du 14e siècle. ‘L’ordre du Cerf blanc’ est le premier d’une série nouvelle, se passant dans l’Angleterre du début de la guerre de Cent ans, un peu après 1400.

Matthew Jankyn, la vieillesse et le statut social venus, y conte ses aventures comme espion de l’évêque de Beaufort, demi-frère du roi Henri IV de Lancastre. Ce dernier a démis le blond Richard II. Le roi Richard n’a pas tenu les promesses de sa jeunesse ; il est devenu tyrannique et écrase d’impôts sa population. Henri de Lancastre se révolte, arrête Richard et le laisse périr dans une forteresse. Mais, durant des années, la rumeur voit l’ex-roi Richard II ici ou là, au Pays de Galles, en Écosse. Son emblème, le Cerf blanc, surgit dans toutes les révoltes populaires et religieuses, comme celle des Lollards, partisans de l’égalité biblique.

Matthew n’a pas connu sa mère, morte en couche. Son père s’est désintéressé de lui jusqu’à ses 17 ans, le confiant au curé, puis au monastère pour y faire son éducation à la dure. A 17 ans, il l’envoie à Oxford y décrocher une licence. Mais le gamin a appris à dissimuler et jamais à aimer. « Jankyn est un espion. Jankyn est un lâche et, par-dessus, tout, Jankyn est un menteur. » C’est ainsi qu’il se présente lui-même à la première page du livre. Mais Matthew Jankyn est avisé, fidèle à ses intérêts, et suffisamment prudent pour se garder en vie. Il est l’espion parfait pour les mœurs du temps. Et l’évêque Beaufort, intriguant politique de première force, découvre ses talents : il lui ressemble.

Sa mission, à supposer qu’il ait le choix de l’accepter, est d’enquêter sur ces rumeurs de roi vivant, sur cet ordre caché du Cerf blanc. Jankyn ira en France, vainqueur d’Azincourt parmi d’autres, au Louvre interroger l’ancien valet de Richard II, en Écosse rencontrer l’imposteur qui lui ressemble. Il sera archer, lépreux, émissaire mandaté. Il agitera ses petites cellules grises pour faire la lumière sur cette énigme historique.

Car il s’agit d’une énigme réelle. Les chroniques du temps en rendent compte. La théorie de Doherty en vaut une autre, mais l’historien ne peut rien dire par manque de sources fiables. Seul le romancier peut prendre le relais. Il s’agit donc d’une histoire vraie, complétée et mise en récit pour notre plus grand plaisir. A la fin, vous saurez la vérité plausible sur la fin de Richard II, et pourquoi son successeur Henri IV reste tourmenté des rumeurs dont il devrait se fiche.

Vous assisterez aussi à la bataille d’Azincourt, vue côté anglais, et vous comprendrez ce qui sépare irrémédiablement les tempéraments des deux peuples : la vanité. Les chevaliers français sont au théâtre, ils se regardent entre eux et agissent scolairement comme les codes sociaux le prévoient. Leur bravoure n’est pas en cause, mais leur stupidité de classe grégaire. Les soldats anglais sont pragmatiques, ils agissent en fonction du terrain et préfèrent l’efficacité des arcs plébéiens aux trop lourdes armures nobles, condamnées par l’histoire. Quand je pense qu’il faudra attendre Vauban puis Napoléon pour qu’enfin l’armée française s’adapte à son époque !… avant de retomber dans le passé avec les badernes de 14 et de 40.

Paul Doherty, L’ordre du Cerf blanc (The Whyte Harte), 1988, ,10/18 2008, 348 pages, €7.50



Shôhei Ôoka, Les feux

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shohei ooka les feux
Cet auteur japonais mort en 1988 n’est pas très connu en France, bien que parlant bien notre langue et traducteur des œuvres de Stendhal. Incorporé dans l’armée impériale en 1944, il est envoyé aux Philippines après une instruction sommaire ; il est fait prisonnier sur l’île de Leyte. De cette expérience, il va faire le sujet de ses œuvres littéraires majeures après guerre.

Les feux sont un roman, mais largement autobiographique et inspiré de témoignages directs. Les Américains ont envahi l’île, les Japonais reculent partout, les guérilleros philippins ne leurs font pas de cadeaux. Ces feux qu’ils allument sur les collines sont-ils pour brûler les chaumes ou pour signaler l’ennemi caché ? Ils ponctuent le roman de leurs flammes comme autant de vigiles, indiquant le danger mais aussi les bornes à ne pas franchir.

Celles de la guerre, puisqu’elle est perdue ; celles de la discipline, puisque les troupes résiduelles sont livrées à elles-mêmes ; celles de la nation, puisqu’elle les a carrément abandonnés ; celles de la morale, puisque la décence commune n’agit plus, chacun se repliant égoïstement sur sa seule survie – cynique, exploiteur et meurtrier. Après 40 jours dans la jungle à bouffer des herbes et des racines, quoi de plus tentant qu’une fesse de cadavre encore frais ? Nombre de soldats japonais ont ainsi été cannibales, c’est l’un des sujets du roman.

Mais pas seulement. Si ce livre a connu un grand succès après guerre au Japon, c’est qu’il dénonçait de façon implacable le rôle de bétail humain que l’armée impériale a fait jouer à des millions de soldats. Les officiers avaient tous pouvoirs de commandement et de cruauté sur les hommes. La première phrase du roman est : « Je reçus une gifle. Le lieutenant me dit, très vite, à peu près ceci : – Imbécile !… ». Rembarquant les soldats, ceux qui n’ont pu accéder aux bateaux sont purement et simplement abandonnés sur l’île de Leyte, sans ordres ni rations. Les quelques-uns qui envisagent de déserter sont abattus par les sous-officiers, toujours plus intransigeants que les officiers mêmes – pour se hausser du col – comme partout.

La guerre est une horreur, pas un honneur. Non seulement elle éviscère et pulvérise les corps, mais elle déshumanise les cœurs et anéantit les âmes. L’humain y devient pire que bête. En bon japonais, l’auteur utilise sa lucidité obsessionnelle pour tracer un arc psychologique de déchéance – jusqu’à la folie.

feux dans la plaine film

Le soldat Tamara, la trentaine, est rejeté de sa section pour maladie, éjecté du dispensaire pour manque de rations, éjectéé par des camarades de rencontre après pillage. Il se réfugiera dans la solitude des montagnes, vivant de tubercules et d’herbes « déjà rongées par les insectes » ce qui indique qu’elles ne sont pas un poison. Il faillira servir de gibier mais un camarade ayant des visées sur lui le nourrira de « singe » qu’il chasse au fusil, fait sécher et cuire. Tamara apprendra vite que le « singe » est de l’homme et que le gibier est le Japonais isolé – qui devrait être un frère ! Il tentera de fuir, tuera le meurtrier, lui-même assassin de son ex-compagnon qui voulait le voler. Il tirera sur des ombres, désorienté par la faim, puis se fera capturer par des Philippins et sera livré à l’armée américaine – qui va le soigner.

Il redécouvre le dieu chrétien, la Croix-Rouge occidentale étant plus charitable que la mère patrie japonaise… La dernière phrase du roman est : « Alors, loué soit le Seigneur ! ». Déçu par le shinto sans morale, il se convertit à l’humanisme. Car, pour lui, les vainqueurs ont vaincu parce qu’ils étaient moralement plus fort.

Shôhei Ôoka, Les feux, 1951, éditions Autrement romans, 1995, 211 pages, €24.49

Kon Ichikawa, Feux dans la plaine, 1959, film tiré de l’œuvre (avec fin différente) en cassette VHS occasion


Ça remue à Tahiti

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Durant mon absence prolongée cet été, il s’est passé des évènements. Heureusement qu’à mon retour on m’a colporté des ragots. Pour le dernier, il s’agissait d’un vieil homme qui possède de nombreuses terres bien qu’il en aurait déjà comblé ses enfants. Mais l’avidité est un vilain défaut. Une de ses petites-filles, effrontée, à la voix puissante aurait – dit-on – conçu un plan machiavélique : il s’agissait de « cloîtrer » le vieux dans sa demeure pour disposer de sa signature et faire vendre ainsi facilement les terres à son seul profit. Bien vu, non ? Mais le vieux n’aurait pas accepté cet « hébergement ». Qu’à cela ne tienne, elle l’aurait alors fait déclarer incapable, et hop cela aurait été dans la poche. Pour faire « officiel et incontestable», les tutelles seraient la « couverture ». L’Harpagon en jupon était satisfait et riait à gorge déployée de son idée de génie. Le vieux n’ayant plus aucune ressource, il s’en serait allé mendier auprès des églises pour manger. Un petit tour de temps à autre et le tour serait joué, gagné ! C’était sans compter que, dans les districts, tout le monde se connait – et que le parau parau (prononcez propro) court très vite et monterait au ciel.

full contact gamins

Beaucoup de violence dans ces premiers jours de juillet. Et la geôle de Papeari qui n’est toujours pas prête à accueillir ses pensionnaires ! A Raiatea (Iles sous le Vent), après une beuverie au komo (alcool illégal artisanal de fruit) il bat sa concubine à mort. Elle n’avait que 20 ans et avait déjà subi des violences par son ex-tane. Ce couple vivait dans des conditions très précaires dans une cabane sans eau, sans électricité. Les témoins ne sont pas intervenus tandis qu’il la battait.

A Raiatea encore, il assassine son voisin à coups de marteau, prend la fuite et se rend 15 jours après à Bora Bora. Ce récidiviste avait déjà été condamné pour assassinat en 2007. Il avait été récemment libéré…

A Rikitea (Iles Gambier) deux hommes se sont battus et l’un a mordu sa victime. C’est l’un des adjoints au maire qui a mordu au visage, front, nez et oreille un retraité militaire de la Légion, tandis que le tribunal statuait sur le sort d’un cultivateur de cannabis pour payer son ice. Une descente aux enfers pour cet ex-champion de jiu-jitsu que le tribunal condamne à quelques années de mise à l’épreuve avec obligation de soins. Cataplasme sur une jambe de bois ?

tahitienne

Le mensuel Tahiti pacifique d’Alex du Prel devient hebdomadaire. Devenu propriété du groupe Fenua Communication d’Albert Moux (stations-service, club de va’a, journaux gratuits, et maintenant TPH) ce journal sera vendu tous les vendredis. AdP reste le directeur de la publication et ce TPH devrait rester fidèle à son grand frère, à savoir de l’info, de l’indépendance, de la neutralité politique – et rire des vicissitudes de nos politiciens. Et tout sortira d’une imprimerie sise à Papara dans la petite zone industrielle : le journal Tahiti infos pour 16 000 exemplaires, le magazine télé Fenua TV de 56 pages hebdomadaire, Tahiti Pacifique lui aussi hebdomadaire, un mensuel féminin, et d’autres plus encore. Les nuits seront courtes si je veux me tenir au courant de ce qui s’écrit et se publie au fenua ! Enfin, juste de quoi vous tenir au courant en vous envoyant quelques lignes de temps à autre.

L’État a versé les premiers 715 millions de XPF de son aide au RST (anciennement RSPF). C’est paru au J.O. Ben, c’est pas trop tôt ! Y avait des conditions pour recevoir ce Kado des contribuables français de métropole, certes, mais on espère que ces Kados seront pérennes, et puis « l’État » a également annulé la dette de la CPS (Sécurité sociale polynésienne) envers les hôpitaux publics parisiens, a aligné le tarif de facturation pour les malades évasanés ou les touristes polynésiens en France sur les tarifs des patients métropolitains. La CPS respire ! C’est que, pour le moment, cette aide en numéraire ne sera reconduite chaque année que jusqu’en 2017… On souhaite ici qu’elle soit prolongée ad vitam aeternam et qu’on n’ait à faire aucune réformes !

Hiata de Tahiti


Jean d’Ormesson, Au plaisir de Dieu

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jean d ormesson au plaisir de dieu
Après avoir traité l’empire, avant de traiter le Juif, l’auteur se lance dans la gloire de la famille. L’idée du roman est née du choc de la vente en 1967 du château de Saint-Fargeau qui appartenait à ses ancêtres depuis le 19ème siècle. Il fait de la pièce d’eau, dans le parc, le lieu symbolique d’une révolution : celle, au sens des astres, qui ramène tout le monde à son point de départ. Mais ainsi Dieu le veut…

Ces « faux souvenirs peuplés de détails authentiques » forment un vrai roman. Le narrateur, né en 1904, ne se confond pas avec l’auteur, né en 1925. Mais l’un comme l’autre sont des observateurs un tantinet dilettantes, un tantinet philosophes. Méditer sur le temps qui passe, sur l’obsession des dominants à ne rien vouloir changer – ce qui se comprend -, sur l’avenir qui s’élargit comme le passé, laissant seul le présent comme la pointe du cône au milieu du sablier… Il y a de tout cela dans cette ambition de décrire une famille : « la » famille traditionnelle, catholique, aristocratique. Quiconque voudrait faire l’effort de comprendre par le dedans les « résistances » actuelles au mariage gai et autres remises en question des mœurs anciennes, pourra lire utilement ce livre : tout y est dit !

Le grand-père a connu les trois guerres contre les Allemands ; il a toujours été en retard d’une génération sur la politique : monarchiste au temps de la république, pétainiste au temps de la résistance, républicain au temps de l’anarchie gauchiste post-68. « La pyramide, l’obélisque, l’Esprit saint et le Saint-Père, le principe du chef, la famille, la nature nous convenaient assez bien. La spirale, la démocratie, l’homosexualité, la dialectique, le symbolisme, l’impressionnisme, l’art moderne et abstrait, André Gide plus tard et Renan de son temps, nous les vomissions de notre bouche », dit joliment l’auteur, p.718 Pléiade.

Est-ce le destin d’une « famille » que de vouloir à tout prix être du temps d’avant ? Mais lorsqu’on ne comprend pas le siècle, alors c’est « Dieu » – formule miracle qui explique l’inexplicable. Le « plaisir » de Dieu est de n’en avoir aucun, d’être aussi indifférent, aussi traître et aussi bienfaisant que s’il n’existait pas. D’ailleurs, qui sait ?

Il y a de la force des choses dans cette devise inerte, un ‘tout est bien’ qui est un lâcher prise en même temps qu’un devoir, une soumission à l’ordre du monde qui ne va pas sans combat. « Le responsable, c’était Dieu » p.718 – ce qui dispense de penser, en même temps que de se sentir coupable. Aucun doute ne vient hanter les consciences quand tout est codifié et écrit. Le grand-père réactionnaire et l’arrière-petit-fils gauchiste sont l’un comme l’autre dans cette même soumission à ce qui va. « Qu’est-ce qu’ils auraient pu faire, l’un et l’autre, de la liberté de penser et de la tolérance ? Puisque, l’un et l’autre, ils détenaient la vérité. Dieu et le roi d’un côté, Marx et Engels de l’autre, il n’y avait pas de place dans leurs systèmes pour les criminels et les imbéciles qui s’obstinaient à défendre l’erreur, l’hérésie, le schisme ou le plaisir de vivre » p.1049. Ni intelligents, ni ambitieux, ni créateurs, les membres de la famille se contentent du minimum : survivre, transmettre, faire ce qu’il faut. Sans plus. Avec tous les errements de leur siècle, au point qu’un débauché veuille se faire curé avant de virer communiste, puis gaulliste… et de retomber dans les bras de la religion une fois la vieillesse venue. Un tour de pièce d’eau et tout est joué.

L’auteur, souvent un peu long et complaisant, surtout dans les derniers chapitres, a pour ambition de « réconcilier le passé et l’avenir » (p.1079). Il justifie la famille comme tribu qui formate, détaille « le rôle positif » de l’aristocratie durant les siècles, comme on le dit aujourd’hui de la colonisation. Il se défend, la morale d’aujourd’hui n’ayant rien à faire dans les époques passées – critique trop facile commises par ceux qui profèrent les jugements les plus radicaux de la paille d’hier chez les autres, pour ne pas voir la poutre de leurs immoralités d’aujourd’hui. Chaque chose était en son temps comme elle devait, « au plaisir de Dieu » si l’on veut, dans la réalité en tout cas. « C’est cet esprit de la famille que j’ai voulu perpétrer à travers le changement des esprits et des mœurs, et à travers le temps » p.1068.

A la fin des années 1970 est sortie de ce gros roman une série TV que l’on peut encore regarder, si l’on en croit les commentaires des fans. Pour ma part, je lui préfère le livre, certes épais, mais qui laisse libre l’imagination. Bien que l’auteur ait répugné à finir et étiré trop de pages inutiles sur la fin (une soixantaine, disait Paul Morand, il est vrai « homme pressé »), de longs traits d’époque vous captivent au point d’oublier le présent. Le tout raconté dans un style classique aux amples périodes, plus souple que dans la Gloire de l’empire, qui est un vrai plaisir de lire, à défaut de Dieu.

Jean d’Ormesson, Au plaisir de Dieu, 1974, Folio 2015, 640 pages, €9.50
Jean d’Ormesson, Œuvres, Gallimard Pléiade 2015, 1662 pages, €55.00
DVD, Au plaisir de Dieu, réalisation Jacques Dumesnil, coffret de 4 DVD Koba films 2006, €27.90

Les livres de Jean d’Ormesson chroniqués sur ce blog


Les droites extrêmes et le pouvoir

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Pour accéder au pouvoir, rien de tel que de participer à des alliances de gouvernement dans les pays à système parlementaire tels que l’Autriche, l’Italie, les Pays-Bas, le Danemark. Dans un régime semi-présidentiel comme la France, le système électoral non-proportionnel ne permet pas aux petits partis d’émerger. Il faut soit s’allier à un grand parti (comme récemment EELV avec le PS), soit préférer une candidature à la présidentielle pour se compter. Les élections locales permettent quelques victoires avec le système de liste.

Un succès du Front national en France dépend surtout d’une alliance avec l’ex-UMP rebaptisée Les Républicains. Mais le parti reste très divisé sur le sujet, une faible minorité souhaitant pour l’instant ce genre d’alliance, même pour gagner la présidentielle. D’autant que, côté Le Pen, s’associer aux partis de gouvernement, c’est se renier : les élites ont trahi, qu’elles s’en aillent. S’allier avec elles serait politiquement dommageable.

Sauf qu’il faut savoir ce que l’on veut :

  • ou le populisme qui ne fédère qu’en « sac de pommes de terre » les ressentiments divers de tous les exclus et les aigris, en plus des convaincus du déclin
  • ou le réalisme qui établit un programme et des alliances pour gouverner un jour.

D’un côté la radicalité de tribune ou de propos à la Jean-Marie, de l’autre la stratégie de grignotement électoral à la Marine. Cet écart de stratégie explique une bonne part du feuilleton de l’été dont les médias – ravis en secret et affectant de se boucher le nez en public – ont abreuvé leurs papiers faute d’avoir quoi que ce soit de pertinent à écrire.

marine desodorisant bien agiter

Tentées par le populisme, le rejet des élites et la crise mondiale qui n’en finit jamais, les droites extrêmes sont portées par un courant électoral puissant en Europe, mais elles restent très divisées. Réunir par exemple 25 élus de 7 nationalités différentes pour créer un groupe au Parlement européen a été très difficile à Marine Le Pen. C’est que l’idéologie et la stratégie diffèrent en presque tout…

Le nationalisme autoritaire du Jobbik hongrois ou de l’Ataka bulgare, voire nostalgiques du nazisme comme le grec Aube dorée ou le NPD allemand, côtoie sans se mêler les souverainistes radicaux qui rejettent les élites coupées du peuple, l’immigration musulmane et le libéralisme économique des technocrates bruxellois, tels le Front national français, la Ligue du Nord italienne ou le FPÖ autrichien.

noir et blanc avec bebeDes écarts flagrants se manifestent dans l’attitude envers la démocratie parlementaire, l’Europe et l’immigration.

Certains acceptent le parlementarisme, comme le Front national ; ils ne veulent parvenir au pouvoir que par la voie des urnes. Rappelons cependant que Mussolini comme Hitler n’ont rien fait d’autre. Car la démocratie parlementaire peut être soit représentative, soit directe. C’est plutôt par l’appel direct au peuple que ces droites radicales veulent passer. Même si, rappelons-le aussi, l’élection présidentielle directe et l’usage du référendum par de Gaulle allaient exactement dans ce sens. Question de mesure : disons que les droites non gouvernementales cherchent à court-circuiter les élites (cooptées entre-soi) et le système (des « copains et des coquins » comme disait feu le communiste Marchais) pour en appeler directement aux électeurs. Ils se placent dans la lignée des tribuns romains, des orateurs de la Révolution française et des populistes d’Amérique du sud.

Certains acceptent l’Union européenne mais veulent la recentrer ; d’autres la rejettent. Le Front national honnit par exemple la mondialisation et « les traités » européens, préférant un capitalisme national d’État (d’essence para-fasciste) protecteur des classes populaires. Exactement ce que Hitler prônait lors de son arrivée au pouvoir. Le Parti populaire danois (DF) veut rester dans les traités européens, mais avec une plus grande autonomie nationale. La Ligue du nord en Italie souhaite une Europe des régions et pas des États. Le parti AfD (Alternative pour l’Allemagne) souhaite seulement quitter la zone euro et l’UKIP anglais quitter l’Union européenne.

Certains acceptent l’immigration, mais veulent réserver les avantages accordés par l’État exclusivement aux nationaux, surtout pas aux immigrés d’où qu’ils viennent. Ceux-ci devraient se débrouiller dans la plus pure tradition libertarienne américaine – tout en subissant la pression sociale de constater qu’ils ne sont pas les bienvenus. D’autres sont clairement racistes et xénophobes, comme Aube dorée. D’autres encore, comme le Front national ou le DF danois, veulent surtout assurer la sécurité sociale, culturelle et militaire des Français républicains contre les « hordes » menaçantes venues des pays de l’islam intégriste.

Devant ce constat, les droites extrêmes en Europe ne sont pas encore une vraie menace, seulement un signal aux élites représentatives actuellement au pouvoir que toute inaction de leur part pour répondre aux défis sociaux, culturels et géopolitiques du présent les fera sanctionner. Certains commencent à bouger : Cameron au Royaume-Uni, Merkel en Allemagne, Tsipras en Grèce, Renzi en Italie.

Et en France ? L’inerte Hollande poursuit à tout petits pas tremblants ses réformettes et ses discours lénifiants, sous la menace de la gauche de la gauche de la gauche toujours plus à gauche puisque qu’il n’y a pas de chef à gauche (comme Mitterrand ou Jospin surent l’être) et – côté droit – par l’essor du lepénisme, canal historique ou canal politique avec le père et la fille.

PS logo

Au fond, avec le régime semi-présidentiel différent de celui des autres pays européens, c’est peut-être en France que la droite extrême pourrait représenter le danger le plus grand. Les Français aiment être gouvernés, dirigés, guidés – vieux reste romain, catholique et scolaire. Quand ils sentent la main molle, ils radicalisent leurs positions. Même si Manuel Valls (avec l’accord du président) fait un pas vers le réalisme après l’inaction et le déni Ayrault.


Shyam Selvadurai, Drôle de garçon

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shyam selvadurai drole de garcon
Un Sri-lankais tamoul décrit son enfance en anglais depuis son exil au Canada. Il est l’exemple même du métissage déstabilisateur, pris entre mondialisation globale et nationalisme raciste. Arjie, second fils d’une famille aisée de Colombo, joue à la mariée avec les filles avant 7 ans (mais il reste l’ordonnateur). Son père, gêné de le voir aussi « bizarre », enjoint son grand frère surnommé Crotte (de nez) de le prendre dans son équipe de cricket. Mais cela ne satisfait ni Arje, qui est nul et déteste, ni Crotte, qui se colle un handicap dans son équipe.

Ainsi commence l’histoire captivante d’une enfance naïve, puis d’une adolescence qui découvre le monde et la cruauté des hommes. Pris dans l’équipe de théâtre de l’une de ses tantes, il assiste à la romance puis à la rupture de Rhada et d’Anil, l’une tamoule et l’autre cingalais. Si les individus peuvent se plaire et s’aimer, les communautés se détestent et « la société » comme la famille ne supportent pas les mésalliances.

Même chose avec Jegan, jeune homme séduisant et musclé, fils d’un ami d’enfance de son père, que le jeune Arje admire. Il vient sur recommandation chercher du travail et le père d’Arje, touché de reconnaître en lui les traits de son ami disparu, l’embauche. Travailleur, intelligent, organisé, Jegan montre ses capacités… mais il a le handicap d’être Tamoul et ne sait pas « marcher sur des œufs » avec les susceptibilités et les jalousies cingalaises. Il doit être renvoyé.

A 14 ans, Arje est placé dans un collège à l’anglaise sur ordre de son père, pour contrer ce caractère « bizarre » qui continue à s’affirmer en toute candeur. Las ! Le collège à l’anglaise n’est pas le meilleur endroit où contrer la sensualité naissante. Autoritarisme, fouet, rigidité, ne font qu’accentuer la sensibilité à vif de cet âge, qui jouit des tortures en saint Sébastien. Arje a beau être battu à coups de cannes par le sadique censeur Cravate noire, voir son ami cingalais Soyza torturé pour lui, cela ne fait que le braquer. Il rejette la virilité avec l’autoritarisme et préfère la douceur de l’amitié et du cœur.

Ce qui ne va pas sans désirs ni accomplissements brutaux, au garage, dans la chambre, dans les toilettes. La répression morale et physique agit comme une cocotte minute : loin d’éradiquer les pulsions, elle les exacerbe jusqu’à l’explosion. L’auteur a l’habileté de présenter son cas personnel comme une métaphore de toute la société. Les Cingalais qui répriment férocement les Tamouls minoritaires dans la torture, le sang et les pogroms, ne font qu’exacerber la haine et l’envie de se venger. Des flics sont tués par les Tigres, organisés comme une véritable armée. La guerre civile s’installe dans le pays, tout comme elle couve au collège, où Arje se venge de Cravate noire en massacrant son poème favori devant le ministre à la distribution des prix, bien qu’il ait été choisi en reconnaissance de son talent.

Couvre-feu, oncle journaliste tué par la police ou les milices, fuite de la maison familiale juste avant qu’elle soit incendiée, grands-parents brûlés vifs dans leur voiture par la foule déchainée, hôtel du père saccagé – aucun avenir n’est plus dans le pays pour les Tamouls aisés. Le livre s’arrête au moment de l’émigration au Canada. Arje, comme l’auteur, a alors 18 ans. Il laisse Soyza, son ami de cœur et de sens, car il sait qu’entre ce garçon Cingalais et lui-même Tamoul, aucune amitié ne peut durer, prise qu’elle est malgré elle dans la société et la nation.

Le livre est frais, bien écrit, romancé. Il décrit l’autre face de la société indienne et sri-lankaise, la face sombre du nationalisme étroit et de la haine pour qui ne vous ressemble pas. Du cas personnel à l’humanité universelle, voici un roman délicat qui explore les tréfonds de la bêtise humaine.

Shyam Selvadurai, Drôle de garçon, 1994, 10-18 2000, 299 pages, €4.95
Voyage au Sri-Lanka sur ce blog


Emmanuel Le Roy Ladurie, Montaillou village occitan

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le roy ladurie montaillou village occitan

J’avais 20 ans lorsque j’ai lu ce livre pour la première fois et je viens de le relire pour une randonnée en pays Sabarthès. Il explore les registres d’inquisition de l’évêque de Pamiers Jacques Fournier, juriste et enquêteur méticuleux qui deviendra pape en 1334 sous le nom de Benoît XII. Il n’hésitera pas à faire arrêter une année toute la population du village au-dessus de 12 ans ! L’Église, à cette époque, était totalitaire : qui ne pensait pas comme elle était suppôt du Diable. Montaillou est un village fermier des pré-Pyrénées ariégeoises, vers 1300 m d’altitude. L’isolement, la vie très communautaire, les frasques des curés catholiques, font se tourner volontiers les habitants vers le catharisme 50 ans après la chute de Montségur. Le catharisme est un christianisme populaire, de bon sens, régénéré des origines sur l’exemple des apôtres mêmes. L’Église catholique le déclare « hérésie » par un coup de force moral, afin de disqualifier ces idées qui ne passent pas par ses clercs et pour punir ceux qui ne payent pas l’impôt d’agnelage.

Ce gros pavé d’ethnographie historique pourrait être indigeste, mais à la fois le registre très près de la vie quotidienne des habitants et le style de l’auteur imagé et un brin démagogique, en font un bon ouvrage de chevet lisible par tous. Surtout à l’époque de sa parution, avant Internet et à quatre chaînes de télé seulement, où les gens un peu cultivés avaient pléthore de temps.

Deux parties dans ce monument : l’écologie puis l’archéologie de Montaillou.

La première analyse la façon de vivre : la maison et le berger. L’existence s’étend entre la domus (maisonnée au sens large, familial et domestique) et la cabane (l’élevage et la transhumance des moutons sur les hauts pâturages). Pour être passé dans la région récemment, cela n’a guère changé, l’électricité en plus.

La seconde partie creuse les mentalités, le sexe, les stratégies de mariage, l’éducation par les aînés, les parents et le village, les réseaux culturels liés au fait de savoir lire, les lieux de rencontres que sont la taverne et la messe, le sentiment de la nature et du destin, la pratique religieuse entre la Vierge et tous les saints, les prêches des bonshommes, la pauvreté et le travail, le folklore et le sentiment d’au-delà.

En 1975, il y a 40 ans, ces thèmes ont rencontré la mentalité française. Le livre s’était déjà vendu à 129 000 exemplaires fin 1978 et se trouve aujourd’hui traduit en 21 langues. L’émission littéraire Apostrophes de Bernard Pivot le 15 septembre 1978 n’y est pas pour rien, Le Roy Ladurie ayant été invité par François Mitterrand lui-même, pas encore président. Mais cet engouement « de gauche » pour Montaillou prouve la nostalgie – paradoxale pour des « progressistes » – de cette France rurale et communautaire du « bon vieux temps » qui était en train de disparaître – et que Mitterrand accélérera malgré son affiche électorale sur « la force tranquille » sur fond de clocher campagnard.

C’était la grande époque du chèvre chaud-salade, des sabots suédois et des poutres apparentes, la mode des petit-bourgeois urbains issus de paysans, pour la plupart fonctionnaires, qui se découvraient un sentiment de classe et qui ont voté avec optimisme à gauche dans les années 1975-1985. Emmanuel Le Roy Ladurie, en 1975, se met à leur portée : il parle comme eux, avec ces tics d’époque que sont « au niveau de » et l’usage dans le vent d’une pléthore de mots américains devenus ridicules aujourd’hui dans la conversation : fifty-fifty, revival, challenger, meeting… Il n’hésite pas, lui historien universitaire, à causer familier, voire cru : « A cousine du second degré, enfonce-lui tout », écrit-il plusieurs fois (dont p.437) pour dire les limites de la prohibition de l’inceste au village.

Montaillou excitant : il parle sexe et entraide, féminisme et sodomie, révolte morale contre les puissants du Nord (le roi de France) et de Rome (le pape corrompu). La fornication simple n’était pas un péché à condition que les deux y trouvent plaisir, l’homosexualité (péché des villes et des intellos) n’est pas plus grave (p.243), l’amitié se gradue entre frères, amis et compères (p.183). Un petit air de mai 68, déjà, semblait régner au village.

Montaillou occit tant : l’auteur évoque cette Occitanie opprimée comme une colonie, ces croyants égalitaires cathares réprimés, emprisonnés, brûlés, ce qui parle aux gens de gauche volontiers pro-FLN, pro-palestiniens et anticapitalistes. Par ses oppositions entre domus et cabane, mâle et femelle, adulte et jeune, lettré et analphabète, il caresse le schéma en noir et blanc d’époque, gauche contre droite, à l’œuvre dans les petits esprits. Courant souterrain de la mentalité française des années 1970 imbibée du marxisme simplifié par Staline qui interprète l’histoire avec ses œillères idéologiques, croyant « comprendre » ce qui au fond n’a rien à voir.

le roy ladurie montaillou village occitan 1

Commençait déjà le stade sans mémoire où le « patrimoine » était d’autant valorisé que chaque génération se croyait la première, après 1968, pour inventer le monde nouveau. Le registre de Jacques Fournier conte une époque sans lettrés où l’histoire populaire est à plat, sans mémoire, le grand-père appartenant déjà pour ses petits-enfants à « un temps mythologique« . L’auteur note que ce temps rencontre le nôtre (en 1975), l’inculture et le zapping de la génération toujours neuve ignorant à dessein passé et traditions, sauf pour y sacrifier en chœur dans ce collectif obligé par les politiciens qui tentent de faire croire périodiquement qu’ils représentent la France. « En notre époque de message télévisuel et de massage télé-auditif, tous deux abolisseurs des logiques livresques, les procédés de l’histoire immédiate, du suspense, de l’énigme policière et du nouveau roman retrouvent sans effort les vieilles et simplistes méthodes qu’employaient en 1320, avant la ‘Galaxie Gutenberg’, les narrations du berger, vierge d’imprimerie et même d’écriture » p.430. L’avènement des petit-bourgeois socialistes, désormais installés et vieillissants, n’a fait qu’accentuer ce travers – dont on mesure aujourd’hui les méfaits, de l’école qui n’enseigne plus au terrorisme issu du manque de sens et de la dépravation bobo des mœurs.

Le Roy Ladurie, qui avait à se faire pardonner des parents collabos sous Vichy (dont un ministre), cite Nietzsche à contresens et même Céline (ce que l’histoire de Montaillou ne demandait pas), tout en érigeant autour de cette audace un mur de politiquement correct d’époque devenu risible à la relecture. Mais c’est qu’il fallait « se positionner », montrer clairement (même dans un ouvrage qui se voulait scientifique) de qui on « faisait le jeu ».

La lecture de Montaillou aujourd’hui reste agacée de ces scories idéologiques qui gâchent l’expression. Mais la plongée dans la vie quotidienne à la fin du moyen-âge d’un village de bergers reste un grand moment de l’histoire nationale. Elle montre l’existence ancestrale des petites gens, l’oppression des puissances intellectuelles et politiques sur le bas peuple, la trahison des clercs et les dénonciations anonymes, les liens transfrontières qui se nouaient déjà par vagabondages, commerce et transhumance tout autour du bassin méditerranéen. Une sorte d’éternité moderne, si l’on ose cet oxymore… À déguster par petites doses, les 28 chapitres fournissent ample matière à plaisir et réflexion.

Emmanuel Le Roy Ladurie, Montaillou village occitan de 1294 à 1324, 1975, Folio histoire 2008, 640 pages, €11.90
Format PDF €11.99
Format ePub €10.99


Démocratie et grands principes

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La démocratie est l’exercice concret du pouvoir par les citoyens, directement (référendum) ou par représentation (élections). Les grands principes sont ces devoirs de la morale qui viennent soit des coutumes généralement admises (common decency), soit de catégories philosophiques (considérées comme « universelles »), soit de commandements religieux.

Il peut y avoir écart théorique entre l’exercice du pouvoir dans la cité et les grands principes moraux ; mais comme la cité est dans l’histoire et obligée de la vivre, les grands principes ne peuvent parfois être appliqués en même temps.

Dans le cas individuel, nous avons ce qui compose une tragédie. Ainsi Antigone, écartelée entre la fidélité à la cité et à son oncle, et la fidélité aux devoirs religieux et à son frère. Ainsi Albert Camus, plus proche de nous, qui déclarait « Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice » (Maison des étudiants de Stockholm, le 12 décembre 1957).

Dans le cas moral, la hiérarchie des principes est légitimée par l’universel : ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fit ; une norme est objectivement valable si elle est valable pour tout être raisonnable (Kant), ou si elle est acceptable par les autres (Rawls, Habermas). Par exemple, Camus considère la révolte comme légitime jusqu’à ce que la liberté totale de se révolter rencontre sa limite : celle de tuer. Car donner la mort est incompatible avec les raisons mêmes de se révolter, qui sont l’exigence de justice pour tous les hommes. Ainsi s’explique la réponse de Camus sur la justice : si c’est là VOTRE justice, alors que ma mère peut se trouver dans un tramway d’Alger où on jette des bombes, alors je préfère ma mère à cette injonction totalitaire qui utilise le terrorisme pour imposer sa pseudo-justice.

Dans le cas collectif, c’est le choix des priorités. Le gouvernement de la cité ne peut autoriser à la fois la plus grande liberté et exiger que quiconque respecte la loi, condamner la peine de mort de façon absolue et faire la guerre, respecter à la fois la cohésion sociale et pratiquer l’hospitalité maximum envers les étrangers. En politique, il s’agit non d’absolus mais de hiérarchie ou d’alternance : la liberté existe – jusqu’à ce que la loi ou la liberté du voisin la contraigne ; la peine de mort n’est pas admise – mais légitimée en cas de légitime défense, de résistance armée aux forces de l’ordre, et en cas de guerre ; l’asile politique est légitime mais l’immigration économique est contrainte – et peut-être des quotas doivent-ils être institués afin que la population arrivante ne se concentre pas en ghetto mais s’assimile progressivement ; l’égalité de tous est revendiquée, mais les aides aux moins chanceux ou moins lotis est instaurée.

En démocratie, les principes les plus légitimes ne peuvent pas cohabiter dans le même temps. Ils ne peuvent surtout pas faire l’objet d’un compromis ou d’une « synthèse ». Il n’y a pas de « juste milieu » entre la liberté d’expression et le blasphème. Il y a soit l’un, soit l’autre. « En matière de presse, il n’y a pas de milieu entre la servitude et la licence. Pour recueillir les biens inestimables qu’assure la liberté de la presse, il faut savoir se soumettre aux maux inévitables qu’elle fait naître. Vouloir obtenir les uns en échappant aux autres, c’est se livrer à l’une de ces illusions dont se bercent d’ordinaire les nations malades… qui cherchent les moyens de faire coexister à la fois, sur le même sol, des opinions ennemies et des principes contraires » Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, II, 3.

sale afiste

Ces « malades » qui braillent « pas d’amalgame » devraient se demander pourquoi les terroristes naissent dans les idéologies totalitaires, avant-hier le communisme et le nazisme, hier le gauchisme italien, allemand ou français, il y a peu les Palestiniens et aujourd’hui même la religion musulmane dans sa lecture intégriste. Oui, il y a bien du marxisme dans Marx, même si Marx n’eut probablement pas été « marxiste » au sens où les années 1960 l’ont déformé. De même y a-t-il de l’islam dans l’islamisme, comme du christianisme dans l’Église de l’Inquisition.

Ceux qui accusent « les autres » (jamais eux-mêmes) de « jeter de l’huile sur le feu » sont des lâches qui refusent de voir, d’analyser et de comprendre. Ils préfèrent le déni, « surtout ne rien faire qui pourrait…» remettre en cause leur petit confort intellectuel, fonctionnaire ou bourgeois. Le problème n’est pas l’huile, mais le feu : qui met le feu ? Ces indécis le cul entre deux chaises sont les soumis de Houellebecq, des irresponsables qui refusent d’assumer leur position intellectuelle ou politique. Ils font de nécessité vertu en parant leur lâcheté du beau mot de « prudence » – en bons adeptes du « principe de précaution » des nations malades, des pays vieillis et des âmes faibles.

Ce n’est pas insulter l’islam que de caricaturer les imams et le Prophète, démontrait Raphaël Enthoven : c’est au contraire intégrer l’islam dans la république, en France où l’ironie et l’esprit critique sont des traits nationaux. Appliquer sans tabous à toutes les religions les mêmes principes, c’est élever l’islam au rang des autres. Refuser qu’on le « critique » ou qu’on s’en « moque » serait au contraire une preuve de mépris. Pire même, n’est-ce pas insulter « Dieu » que de croire qu’il est incapable de se défendre, lui l’Omniscient Tout-Puissant ? A-t-il besoin de vermisseaux ignares, qui ne savent pas lire le texte qu’il a livré et qui croient aveuglément – plus que Dieu lui-même ! – n’importe quel autoproclamé savant ? Charlie avait sur ce point raison, il est vraiment « dur d’être aimé par des cons ».



Paul Doherty, Le lys et le serpent

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Paul Doherty Le lys et le serpent

Ce tome 2 des aventures de Matthew Jankyn, espion au service du cardinal Beaufort, bâtard d’Angleterre, a pour objet cette fois le mystère de Jeanne d’Arc. A-t-elle été vendue par les Chtis ? A-t-elle fait l’objet d’une manipulation anglaise pour s’assurer du pouvoir durant la minorité du petit roi Henri VI de 9 ans ? A-t-elle été abandonnée par le veule et cagneux Charles VII ?

Paul Doherty est professeur d’histoire médiévale à l’université et il connaît sa période. Après Azincourt et sa victoire (anglaise)/défaite (française) dans le premier opus de la série, ‘L’Ordre du Cerf blanc’, nous suivons son héros Matthew sur les chemins boueux de France. Il se revêt d’armure pour faire des coups de main contre les soudards, les écorcheurs, les Bourguignons et les Anglais – enfin tous ceux qui contestent à Charles le Dauphin sa légitimité au trône.

Dans cette atmosphère de paranoïa et de complots – qui va si à bien à notre propre époque – se lèvent des illuminés inspirés par Dieu (ou par le Diable ?). Un petit berger a des visions, l’évêque royal le protège pour son frais minois et par le pouvoir que le ciel, ainsi, lui donne sur la faiblesse du Dauphin. Mais Jeanne entend saint Michel, sainte Marguerite et sainte Catherine à tour de rôle. Elle lit dans les âmes et prédit souvent ce qui arrive. Mieux, elle s’affirme en soldat dans ce monde où les femmes sont exclues. Son secret ? La certitude d’avoir raison et la fermeté d’être soutenue par le ciel.

Pourquoi pas ? Mais le cardinal anglais Beaufort est sceptique. Il envoie son meilleur limier, « prince des menteurs », couard et irrémédiablement les pieds sur terre, pour en savoir plus. Non pour la vérité – à quoi cela sert-il ? – mais, en bon pragmatique – pour savoir à quoi Jeanne la Pucelle pourrait bien LUI servir.

Matthew se préoccupera de survivre et se trouvera à chaque fois de bonnes auberges où faire bombance et des veuves esseulées pour chauffer sa couche. Il approchera Jeanne de fort près. Espion il est, menteur et scélérat, mais fidèle. Il ne la trahira point, fort marri au rebours de deviner qui trahit la Pucelle : des clercs bien gras, aigris de mal pouvoir et trahissant leur nation. L’évêque Cauchon – au nom prédestiné – est clerc de Beauvais en Picardie. Il s’était rangé aux côté des Bourguignons et aux membres de l’université de Paris qui exigeait que la Pucelle soit remise aux Anglais ou à l’Inquisition d’Église. Portrait de Cauchon par Doherty : « L’homme était grand, avec un visage rubicond, des yeux gris ardoise et une bouche qui évoquait aussitôt le mal. Il pouvait se montrer charmant et plein de délicatesse mais, pour peu qu’on s’opposât à lui, il manifestait une propension à la haine dont même le dernier des rats se serait affligé » p.170. Compiègne a fermé son pont-levis à Jeanne qui rompait le combat, poursuivie par les Anglais. Elle était malvenue chez les Chtis.

On s’étonnera donc de la fin, étayée par des documents historiques, mais dont le romancier pousse l’hypothèse – ce que ne peut faire l’historien. Les paranos seront ravis, les adeptes du Complot boiront du petit lait. Les lecteurs normaux se délecteront d’une intrigue bien ficelée qui leur feront, en passant, revisiter, de façon bien plus vivante que les cours magistraux, la grande histoire de France.

Paul Doherty, Le lys et le serpent (The Serpent among the Lilies), 1990, 10/18 nov.2008, 222 pages, €7.10


Sur la mer polynésienne

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Elles sont arrivées ! La première baleine de la liste ayant pris place dans nos eaux était une solitaire arrivée le 31 mai. Une éclaireuse ? Depuis on en compte plus d’une quinzaine autour de Moorea, Tahiti et Tetiaroa. Ces baleines, mâles, femelles parturientes et quelques juvéniles ont parcouru quelques 6 000 km avant de s’ébattre dans nos eaux. La Polynésie est un sanctuaire pour les baleines. Il y a donc des règles pour approcher ces mammifères et les observer. Il faut se tenir à une distance de 50 m des adultes et à 100 m des baleineaux, garder une vitesse constante, changer de cap progressivement, ne pas approcher ces animaux par l’arrière. Rien que du bon sens mais que certains individus jugent trop contraignant.

TAHITI

Nos requins du Pacifique seraient-ils plus sociables, moins agressifs que ceux autour de l’Australie ou de la Réunion ? Ici, les attaques de requins sont rares. Certes, on cite quelques cas de morsures mais pas d’attaques mortelles. En Polynésie française, les requins sont protégés depuis 2006. Pour le requin bouledogue, sa présence est anecdotique, le requin blanc ne fréquente pas notre mer, mais le requin tigre s’y plaît. Nos eaux sont très claires ce qui n’est pas le cas à la Réunion.

D’abord des chiffres : la population de Pitcairn compte 50 habitants en 2015 contre 250 dans les années 50. Les îles Pitcairn sont composées de 4 petites îles volcaniques d’une superficie totale de 47 Km2 et dont seule celle nommée Pitcairn est habitée. Elles sont situées à environ 2 100 km à l’est de Tahiti. Ce petit morceau de terre où vivent depuis des générations des descendants de l’équipage du Bounty, ces marins qui s’étaient mutinés en 1789, a légalisé le mariage gay – selon le gouvernement qui l’a annoncé sur son site. Apparemment, nul, parmi la cinquantaine d’habitants ne serait à priori susceptible d’être intéressé par la nouvelle loi mais le territoire tenait à se mettre à la page, a expliqué le vice-gouverneur Kevin Lynch. C’est ici la dernière possession britannique dans le Pacifique entre la Nouvelle-Zélande et le Chili. La capitale des îles Pitcairn ? – Adamstown. Je suis sûr que vous ne le saviez pas.

ado gay colliers

Encore Clipperton : un autre confetti dans le grand océan, royaume des crabes, des oiseaux (quelques 110 000 fous masqués la plus importante communauté au monde) – et des rats. A 12 000 km de la France, à 6 000 km de Tahiti et à 1 300 km du Mexique, l’atoll de 7 km2 – dont 1,7 km2 de terres émergées seulement – est considéré comme le plus isolé du monde par le comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Avec cette ile isolée et inhabitée, la France dispose d’un véritable laboratoire à ciel ouvert. Clipperton est une chance pour la France ; elle ne devrait pas la gâcher. Ressources halieutiques (thonidés), champs sous-marins de nodules polymétalliques, position géographique dans une ZEE (zone économique exclusive) de 435 000 km2 supérieure à celle de la France métropolitaine (336 000 km2). Clipperton a permis à la France, en 1973, d’adhérer à l’Inter American Tropical Tuna Commission (I.A.T.T.C.) qui ouvre l’une des zones de pêche les plus riches au monde et de participer à ses travaux (le tuna est le thon). Un accord lie la France et le Mexique, qui est autorisé à y faire naviguer 43 thoniers. En décembre aura lieu la conférence mondiale sur le climat (COP 21). Verra-t-on François Hollande se saisir de ce dossier et autoriser la création sur l’atoll d’un observatoire de l’océan « sur les plans faunistique, climatique et environnemental » ? Jacques Chirac n’avait pas saisi cette opportunité or, comme le dit le député UDI du Tarn Philippe Folliot, « Clipperton ne doit pas rester en jachère ». Rappel : Clipperton a été découvert par des marins français en 1711, le jour du vendredi saint, l’atoll fut d’abord appelé île de la Passion avant de prendre le nom d’un flibustier britannique qui écumait la région. Encore les Anglais !

Hiata de Tahiti


Samuel Laurent, Al-Qaïda en France

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samuel laurent al qaida en france
Malgré le bandeau accrocheur de l’éditeur, les « révélations » sont relatives dans ce livre. L’auteur décrit le foutoir libyen, le totalitarisme coranique, le mépris de la loi civile au profit de la Charia de Dieu, la passoire turque, l’inexistence de l’ASL (armée syrienne libre) les Occidentaux considérés par les musulmans comme du bétail sacrifiable ou vendable, Al-Qaïda comme la « fierté » arabe (Muslim Pride)… C’est vivant, intéressant, pas fracassant.

Samuel Laurent décrit comment il suit la trace des djihadistes français (qu’il écrit jihadistes, à l’anglo-saxonne, ce qui pointe ses sources), il passe en Syrie via la Turquie sur recommandation d’un de ses contacts libyen, puis comment il va jusqu’en Somalie rencontrer un expert français musulman des camps d’entraînement – où il « découvre » que d’ex-djihadistes partis combattre sont sélectionnés, entraînés, puis renvoyés en France dans les banlieues pour y constituer une cinquième colonne menaçante.

Le livre est bien composé, écrit sec comme du vécu, alternant action et réflexions, conduit par un auteur qui se montre en héros acharné à comprendre et enquêter. Il se lit bien mais, une fois refermé, quel en est le bilan ?

Ni journaliste, ni chercheur, ni analyste du renseignement, ni diplomate… la question qui se pose très tôt à la lecture de ce livre est : qui est Samuel Laurent ? Je constate que Luc Mathieu, journaliste à Libération, a eu la même réaction, publiée le 21 décembre 2014. Il n’est pas le Samuel Laurent journaliste au Monde.fr. En revanche, son père Éric Laurent est journaliste géopolitique à France Culture et Le Seuil l’a édité en 2012. Ceci expliquerait-il cela ? Samuel se présente aux lecteurs comme « consultant international », terme qui ne signifie rien de concret (consulté quand ? sur quoi ? pour qui ?) ; aux salafistes djihadistes comme « écrivant un livre », ce qui les amuse d’autant qu’il « parle mal l’arabe » (p.53) ; sur sa biographie à l’intention des médias comme « baroudeur » engagé « dès 16 ans » dans les maquis Karen birmans (ce qu’ils démentent catégoriquement). S’il se veut journaliste d’investigation, souvent en immersion pour ses enquêtes en profondeur dans les milieux islamistes, pourquoi publier sa photo au dos du livre, apparaître avec délectation dans autant de médias, et écrire sous son vrai nom ? Il y a une contradiction entre ses aspirations et son comportement qui montre un certain « bidonnage ».

Il dédie ce livre à sa mère « pour son indéfectible soutien », ajoutant « le plus beau reste à venir ». Voudrait-il prouver sa virilité ou son statut de bon fils qui sait réussir pour racheter une adolescence mouvementée ? N’est pas Malraux qui veut, ni même Régis Debray.

Inconnu en 2013, il est d’un coup deux ans plus tard auteur de trois livres sur le salafisme et ses dangers. Thème populaire, très vendeur, dont il tire gloire et profit, écumant les radios, télés et journaux en ligne pour y délivrer la bonne parole du « spécialiste ». Mais la lecture attentive de son dernier livre, chroniqué ici, laisse entrevoir, sous le style « vécu » très entraînant, une indigence d’informations précises sur qui, où et quand – la base même d’une description de la réalité. Il a, certes « été en Syrie », selon Luc Maheux qui a enquêté sur l’enquêteur, mais quelques jours et pas plusieurs mois ; il a, semble-t-il, été en Somalie, mais n’a pas réussi à rencontrer le Français djihadiste dont il parle. Ses descriptions de lieux et de paysages sont d’autant plus précises qu’ils se situent dans des zones interdites où personne ne peut aller vérifier…

En revanche, dès que l’on aborde le cœur du sujet, nous avons des entretiens « retravaillés », le terme « daron » qu’il fait employer à un adolescent arabe de banlieue p.75 sonne faux : archaïque, bourgeois et littéraire… Il livre des supputations géopolitiques intéressantes, mais que l’on peut trouver sans peine dans la presse anglo-saxonne ou auprès des chercheurs spécialisés. La dernière partie est, par exemple, une pure suite de conjectures sans fondement concret – un long délayage (où l’auteur s’obstine à écrire « martyr » avec une faute d’orthographe). Aucune « révélation », même les chiffres avancés par l’auteur sont des calculs à la louche effectués par lui-même : « si l’on compte 50 salafistes dans les 2500 lieux chauds décomptés par le ministre de l’lntérieur, il y aurait donc environ 125 000 djihadistes convaincus prêts à frapper »…

jeune de banlieue

Ce n’est pas faux, ce n’est pas vrai non plus. C’est une idée personnelle, intéressante, mais fondée sur des hypothèses. Reste à les vérifier, or les « combattants » clandestins se gardent bien de se révéler et de parler – question de bon sens. « En parlant comme ils l’ont fait, ces hommes cherchent également à influer sur la politique étrangère de la France, considérée comme fondamentalement hostile aux musulmans » se défend l’auteur dans un entretien au Figaro (quotidien prêt à entendre la menace islamiste plus que Libération…). « Un formidable pied de nez à notre appareil sécuritaire, qui leur garantit un prestige accru au sein de la communauté islamiste radicale ». Pas faux non plus, mais à côté. Surtout lorsque l’auteur – qui n’a manifestement pas fait son service militaire… – reproduit les propos attribués à « Abou Hassan », un expert clandestin formé par les services de renseignement d’un pays musulman (peut-être la Tchétchénie ?), selon lesquels « un sniper posté à plusieurs kilomètres » (p.415) pourrait tuer le président ! Il confond manifestement la portée théorique de la balle et la portée utile, celle nécessaire pour viser une cible. Plusieurs centaines de mètres serait plus réaliste : « L’erreur moyenne à 600 m est de 9,4 cm selon un axe vertical, et 8,8 cm selon un axe horizontal » dit le Wikipède à propos du Dragunov cité par l’auteur. Pire encore avec « un silencieux » – qui réduit l’émission des gaz, donc la portée… et la précision.

Les espions d’Al-Qaïda étaient les frères Kouachi…

operation charlie lexpress 2015

Cette « armée de l’ombre » est sans aucun doute un rêve des salafistes de Daech (qu’il appelle les « dayesh » pour faire authentique, mais ce qui est mieux que le « Dèche » de François Hollande ou le « Dash » de Bernard Kouchner). Cependant, sa réalisation exige des compétences et des âmes entraînées qui ne sont probablement pas nombreuses, surtout dans les banlieues françaises où les ados arabes sont laissé illettrés et impunis par nos institutions, ce qui ne les prédispose en rien à agir en adultes comme de vrais « résistants » responsables, courageux, méticuleux ou intelligents (voir les Kouachi, des minables quasi illettrés ou le Coulibaly, haineux jusqu’à la bêtise). Or, selon l’auteur, pas question d’enrôler des « convertis ».

Les armes de guerre dans les banlieues, déjà en 2013…

mortier de banlieue

Le lecteur ignorant du sujet aura avec ce livre une synthèse pratique, haletante comme un thriller, qui décrit bien le paysage mental et les aspirations des djihadistes, arabes ou convertis. Il tire la sonnette d’alarme sur un vrai problème, celui des jeunes des banlieues ghetto qui retrouvent une identité dans la religion et un sens à leur vie par le djihad, sans parler du romantisme de l’aventure pour frimer au retour. Mais ses chiffres alarmistes ne sont que des supputations pour faire vendre. Elles ne seront crues que par les convaincus qui voient dans l’islam un choc des civilisations et dans les Musulmans une invasion qui menace l’Europe chrétienne (même si les daechistes sont nos ennemis radicaux qu’il faut éliminer sans état d’âme avant qu’eux-même le fassent !).

Samuel Laurent n’entre pas personnellement dans ces considérations partisanes mais il les fait endosser à ses soi-disant interlocuteurs : « Les Français sont tellement englués dans leurs idées progressistes et leur complexe postcolonial – déclare, dit l’auteur, un Arabe d’Al-Qaïda clandestin en France – qu’aucun responsable politique n’osera lancer une chasse aux sorcières contre les Arabes » p.429. Il apporte en cela de l’eau au moulin de ces grandes peurs du XXIe siècle.

À lire donc avec plaisir, mais à ne croire qu’avec modération.

Samuel Laurent, Al-Qaïda en France, 2014, Points Seuil 2015, 478 pages, €8.10


Camdeborde et Ferrandez, Frères de terroirs – carnet de croqueurs 2

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fernandez camdeborde freres de terroirs 2
Yves Camdeborde est cuisinier restaurateur, il tient Le Comptoir au Carrefour de l’Odéon à Paris – il est aussi Béarnais et attaché à son terroir. Jacques Fernandez est écrivain-dessinateur, grand voyageur en Orient. Ils ont chacun le goût des produits et des gens, des pays et du savoir-faire. Ce gros album dessiné donne envie d’en savoir plus, par les papilles, de quitter le standardisé pour le personnalisé.

Il y a certes, en début de lecture, une petite musique de bon vieux temps, un brin de populisme anti-technocrate et le goût d’une certaine lenteur à vivre. Quelque chose comme Des racines et des ailes en distillent sur écran pour les retraités, sur fond de musiquette optimiste, moraline écolo et discours modulé tout le monde il est beau et gentil. Mais cet album dessiné va bien au-delà, heureusement.

L’album répond aux questions traditionnelles que se pose tout lecteur désireux de comprendre de quoi il retourne : qui, quand, quoi, où, comment, pourquoi.

Yves Camdeborde est un cuisinier formé durant des années par le maître Christian Constant avec toute une équipe dont il a aidé chaque membre à s’installer à son compte ; l’album lui rend hommage p.104 avec ces conseils en or : « ne lâche pas, écoute, regarde, comprends ce qu’on dit, ce qu’on fait, et petit à petit, si t’es pas bête, tu vas t’y mettre ! ».

Mieux qu’à l’école, c’est l’expérience de la vie – pas tout seul, pas d’un coup, mais par croissance naturelle de l’être qui grandit et mûrit.

Aujourd’hui, après une génération de malbouffe acquise au lait de synthèse dès le biberon, puis dans la tambouille pas cher des cantines scolaires, avant le fast-food ado et le stress de « la génération zapping, des jeunes qui n’ont pas envie de passer deux heures à table » p.24, la gastronomie retrouve un avenir.

A cause notamment des cancers dus aux pesticides, de réchauffement du climat dû aux transports longue distance, de mauvaise santé générale due à la dégradation des aliments et de l’alimentation, de la mode bio et « slow food » – cette invention non-française que les Français auraient pu inventer s’ils n’attendaient habituellement pas tout de l’État et de l’Administration…

fernandez camdeborde freres de terroirs 2 transmettre lait p tits bearnais

Le produit retrouve sa noblesse, comme le client. Blé, vin, vache, cochon, couvée, légumes doivent pousser, être élevé avec amour et savoir-faire, être traités « comme un bébé », soigneusement sélectionnés et livrés à temps pour la cuisine de saison. Miel de Corse, cochon noir de Bigorre, vins des Corbières ou d’Arbois, vaches du Béarn, pain de Lannes ou Wattignies où officie un « fou » adepte de la mémoire de l’eau et des spirales galactiques, huîtres de Belon ou d’Arcachon, légumes bio de Saint-Coulomb ou herbes fraîches « oubliées » sauf des vieux grimoires de « la sorcière » bretonne diplômée d’agriculture et de botanique, cafés sélectionnés par un ex-historien prof en Sorbonne, et même cigares de Navarrenx élaborés en face de la grand-mère Cambeborde…

Au total 25 producteurs visités, présentés, cuisinés et admirés.

Les terroirs français sont de moins en moins nombreux et dispersés mais résistent encore et toujours à l’envahisseur, le Romain étant soit le fisc français (« ce qui est scandaleux, c’est que l’artisanat va devenir le luxe. Parce que c’est la main d’œuvre qui coûte cher. Fiscalement, tout te pousse à faire de la merde… » p.87) – soit le technocrate pas vraiment chou « de Bruxelles », corrompu « avec des normes que seules les grandes multinationales peuvent supporter. Ils veulent tuer les petites structures économiques. Il ne faut pas se faire d’illusions… Les politiques gouvernent mais les multinationales commandent » p.107.

Comment ? Par l’artisanat, l’enracinement et la transmission. Le produit, c’est la terre, le terroir où l’on est né, où des générations ont œuvré. Nombres d’anciens fonctionnaires corses ont ainsi repris les vignes du grand-père ou la cochonnaille traditionnelle ; les Béarnais veulent rester au pays, les Bretons faire vivre la Bretagne, un ex-étudiant d’école de commerce œuvrer dans la distribution juste à temps de produits d’exception.

Le bio ? Pas forcément, tout dépend du terroir et du climat – mais le « naturel », oui. J’aime bien cette tempérance, loin des ayatollahs écolos qui se réjouissent de prédire la catastrophe pour demain.

L’album montre ce goût très individualiste, très paysan, du travail bien fait, du métier lentement appris et perfectionné par soi-même, tellement ancré dans la mentalité française. « L’artisanat est viable en France. Faire de la qualité, être heureux et fier de ce qu’on fait !… », s’exclame Yves Camdeborde dessiné par Jacques Ferrandez p.93. « Moi, je refuse de travailler avec des produits industriels de merde !… Je vais perdre la joie, je vais perdre la passion, je vais perdre le plaisir !… » a-t-il déjà éructé p.31.

Philippe d’Iribarne a étudié cette particularité typiquement nôtre qu’est « la logique de l’honneur » – issue tout droit de l’Ancien régime, malgré la république, malgré le « socialisme » ! Ce que dit le sociologue : « ne pas avoir à obéir à un patron, n’avoir pas besoin de se vendre à un client, n’être au service que de l’intérêt général, c’est-à-dire en quelque sorte avoir une mission reçue d’en haut, pouvoir faire bénéficier de sa bienveillance ceux en faveur de qui on agit, sans avoir à tendre la main pour qu’ils vous rétribuent, autant d’éléments d’un service éminemment noble » – est repris tel quel par Pierre Mateyron, éleveur de porcs noirs du Gers : « Qu’est-ce qu’ils ne font pas, les autres ?! La qualité, le naturel, le temps, la sagesse et les choses simples !… » p.71 – ou par Maxime Magnon, vigneron des Corbières : « Au moins, tu as la fierté d’avoir construit quelque chose ! Ta réalisation personnelle ! » p.83.

Et la lectrice ou le lecteur amateur de confitures apprendra enfin pourquoi, page 95, la bassine de cuivre est bien meilleure pour le goût du fruit.

La finalité de toute cette chaîne de labeurs et de métiers est sans doute de vivre mieux, plus en accord avec la nature, avec les ressources limitées, avec les autres, avec soi. « Y en a qui ne réfléchissent plus. Ils te cherchent la petite bête parce que tu n’as pas le label bio, mais ils achètent du bio qui vient du Chili par avion… » p.26. La bêtise du bobo à la pointe de la dernière mode est insondable.

Car la course à la productivité agricole est contreproductive, appauvrissant les sols, la planète, les aliments et le sens du goût – en bref le bonheur de vivre. L’efficacité maximum passe par le processus ininterrompu qui va du champ à l’assiette, du mode de culture à l’honneur paysan, du savoir-faire gastronomique à l’équipe de cuisine. « Derrière chaque produit, il y a des gens que je connais et je pense à eux quand je cuisine, quand j’ouvre une bouteille… », conclut Yves Camdeborde dans sa Préface – si j’ose cet oxymore (mais une préface est souvent une conclusion).

fernandez camdeborde freres de terroirs 2 restaurant le comptoir

A lire pour en savoir plus, à relire pour les adresses précieuses des bons producteurs locaux, à cuisiner car 7 recettes sont données, prêtes à élaborer – et à tester car le restaurant Le Comptoir et son bistrot L’Avant-Comptoir vous attendent au 9 Carrefour de l’Odéon à Paris.

A méditer aussi, le bien-manger étant plus qu’un art : une philosophie, comme le disait si bien Montaigne.

fernandez camdeborde freres de terroirs 1

Yves Camdeborde et Jacques Ferrandez, Frères de terroirs – carnet de croqueurs 2 – été/automne, éditions Rue de Sèvres 2015, 117 pages, €22.00

Déjà édité :
Yves Camdeborde et Jacques Ferrandez, Frères de terroirs – carnet de croqueurs 1 – hiver/printemps, éditions Rue de Sèvres 2014, 115 pages, € 22.00


Capitalisme

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Le capitalisme, par-delà le fatras idéologique ajouté, est un système d’efficacité économique. Tel est son universel, qui fait qu’il peut être pratiqué aussi bien par la république impériale américaine que par le libéralisme parlementaire anglais, l’étatisme jacobin français, l’oligarchie communiste chinoise ou la dictature organique russe.

  • Les classes sociales ou les castes dominantes utilisent la puissance du système capitaliste pour acquérir et conserver le pouvoir, mais le capitalisme est une technique en soi.
  • L’efficacité de ce système est de tendre à produire le plus avec le moins, et de prendre des risques pour proposer un produit ou un service.

Mais le système n’est véritablement efficace que lorsqu’il est en équilibre entre sa tendance au monopole et sa tendance à l’initiative.

  • Le monopole est une emprise de force, qui veut imposer un pouvoir collectif sur la demande comme sur l’offre.
  • L’initiative est à l’inverse un processus d’individualisation qui éparpille les entreprises pour faire émerger les idées et les talents, et renforce la liberté individuelle pour entretenir la faculté de choisir.

Offre et demande se rencontrent idéalement sur un marché libre, mais dans les faits ni l’offre, ni la demande, ne sont entièrement libres.

  • L’offre se heurte à la puissance de l’image de marque des entreprises qui ont le mieux réussi à imposer leurs produits – donc les prix. Éliminer autant que faire se peut la concurrence pour rendre captif un marché et tenir les prix est de bonne guerre ; cela se fait soit par l’absorption d’entreprises concurrentes ou complémentaires, soit par le rachat de brevets pour améliorer la production ou pour tout simplement les geler, soit par l’instauration d’un monopole d’État ami ou d’une mentalité nationale (« achetez français », « Texan first », « Das auto »). L’offre veut créer les besoins, même lorsqu’ils ne s’imposent pas, c’est tout l’effort du « nouveau », du « pratique », ou même du « bio ». L’offre émule aussi la compétition sociale en agissant sur les désirs de puissance (auto, moto), de luxe (vêtements, bijoux, parfums, accessoires, mécanique de précision), d’élitisme (la rareté des lieux, le prix d’entrée, les prestations d’exception). L’offre joue sur le mimétisme via la mode, les réseaux sociaux, la pseudo-rébellion adolescente ou la senior-attitude, les micro-tribus.
  • La demande n’est pas non plus entièrement libre. Les besoins de base ne suffisent pas, d’autres besoins plus sociaux se manifestent, qui poussent à acheter, dépenser, consommer. Compétition sociale et mimétisme jouent à plein, tout comme le temps de cerveau disponible est accaparé par la télévision ou les pubs Internet, et les offres sont ciblées par le Big Data des moteurs de recherche. Publicité, marketing, études visent à faire acheter même à qui n’y pense pas ou ne le souhaite pas vraiment.

Capitalisme de la séduction

Quand cent initiatives s’épanouissent il faut les rentabiliser, donc susciter la demande. Ce pourquoi le système capitaliste génère une course en avant. De l’innovation donc de la recherche scientifique, de l’initiative donc du goût d’entreprendre, du choix donc de la démocratie.

Car le capitalisme, né des franchises féodales et de la comptabilité, exige la liberté pour s’épanouir à loisir. Or seule la démocratie, plus ou moins mâtinée d’oligarchie (comme l’élitisme français, la classe sociale britannique, ou la fortune américaine), permet l’espace nécessaire à innover, entreprendre et choisir. Seule la démocratie permet un État suffisamment consensuel pour imposer des règles et les faire respecter.

Or le capitalisme a besoin de règles pour que sa tendance au monopole n’étouffe pas son besoin de libertés.

Responsability and freedom meter

D’où l’intérêt de chercher sans relâche à maintenir cet équilibre – toujours remis en cause par l’attrait financier de la position privilégiée – de la concurrence la plus libre et la moins faussée possible.

free market best system by country

Pour Fernand Braudel, l’histoire montre que l’entreprise est une étape, le commerce de ce qu’on ne produit pas une autre étape, plus efficace, notamment lorsque le produit est rare, cher et lointain (les Merchants Aventurers ou la course du thé), enfin que le prêt de capitaux est une troisième étape encore plus rentable et plus efficace, car fondée sur la liquidité, la rapidité et le risque majeur. C’est à cet étage de hauts spéculateurs que se trouvent les vrais requins de la prédation, ceux qui ne s’enrichissent que pour le temps de leur bref monopole. Là est le meilleur et le pire, le plus efficace économiquement et le moins utile socialement.

Comme tout en ce bas monde, le capitalisme est la meilleure et la pire des choses, mais nul ne peut éliminer sa face sombre sans l’éliminer tout à fait – au risque de systèmes moins opérants et plus injustes – car fondés sur le monopole politique de quelques-uns plutôt que sur le choix relatif laissé à tous.

L’auteur de cette note, Alain Sueur, a passé plusieurs dizaines d’années dans les banques. Il a écrit ‘Les outils de la stratégie boursière‘ (2007) et ‘Gestion de fortune‘ (2009). Il se consacre désormais aux chroniques, à la formation et à l’enseignement dans le supérieur.


Paul Doherty, Le combat des reines

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Paul Doherty Le combat des reines

Nous sommes sous le règne du roi anglais Edouard II, encore possesseur de la Gascogne et de ses vins que lorgne le roi de France Philippe le Bel. Les Templiers viennent d’être occis, sous les prétextes fallacieux propres à tous les politiciens lorsqu’ils veulent se débarrasser de leurs adversaires – et faire main basse sur leurs richesses. Seule l’Angleterre n’a pas chassé les Templiers et la papauté de Rome, jamais en reste de servilité à l’égard des puissants, menace. Les barons anglais grondent contre le favori du roi, le trop beau Gaveston sorti de la roture. L’époque est donc propice aux complots et cabales, ce qui fait le pouvoir des obscurs – donc des femmes.

Car c’est de femmes qu’il s’agit dans ce roman policier historique.

Paul Doherty a soutenu sa thèse d’histoire à Oxford sur la reine Isabelle, fille de Philipe le Bel qu’Edouard II a épousée. Il connaît donc très bien le sujet, son époque et sa psychologie. La garce, violée régulièrement avant 12 ans par ses trois frères lorsqu’elle demeurait encore à Paris, savait y faire en intrigues de toutes sortes. Ce n’était pas un mignon comme Gaveston, une reine douairière comme Marguerite, un évêque repu et retord comme Langton ou des barons grossiers se croyant corégents qui allaient lui faire peur. La reine d’Angleterre, venue de France, hait son père et ne sera certes pas son espionne à la cour. Pas plus sa suivante Mathilde, nièce du médecin parisien des Templiers brûlé par les sbires de Philippe et experte en potions de toutes sortes.

Le roi Edouard est réfugié dans son ‘manoir de Bourgogne’ au cœur des terrains étendus du, palais de Westminster. Les barons menacent d’un coup de force, soutenus en sous-main par Philippe de France et par les évêques avides du trésor des Templiers. Mathilde et sa maîtresse Isabelle vont déjouer le complot dans une suite de rebondissements où les chambres fermées de l’intérieur et les morts mystérieuses ne manquent pas !

Paul Doherty donne ainsi le tome 2 de la série « Mathilde de Westminster », née de Clairebon proche de Brétigny en Essonne, qu’il a commencée avec Le calice des esprits’.

Qui aime l’histoire se délectera des intrigues dignes des ‘Trois mousquetaires’. Qui aime le moyen âge se réjouira des détails pittoresques apportés aux menus des banquets, aux vêtements du petit peuple, aux mœurs des ecclésiastiques, à la crédulité sur les reliques, au règlement des marchés et aux enseignes des tavernes. Et si l’illustre Agatha Christie vous a beaucoup appris sur les effets de l’eau de muguet, vous en saurez autant avec Paul Doherty sur les effets d’une ingestion de violette…

Paul Doherty, Le combat des reines (The Poison Maiden), 2007, édition 10-18 Grands détectives janvier 2010, 347 pages, €8.80

Les romans de Paul Doherty chroniqués sur ce blog


Communisme et crise de foi

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Comme Thierry Wolton publie bientôt le troisième tome de sa monumentale Histoire mondiale du communisme en pointant cette fois les complices, après les bourreaux et les victimes, la revue L’Histoire se fend d’un numéro consacré presque exclusivement aux communistes.

Il faut en effet distinguer le système – totalitaire, policier, exécrable – et ses croyants – idéalistes, naïfs et généreux. C’est du moins le message subliminal de ce dossier, les historiens aujourd’hui arrivés ayant flirté dangereusement avec la doctrine totalitaire dans leurs années de jeunesse. Rares sont les François Furet à avoir analysé ce pourquoi. Mais ne boudons pas notre plaisir : comprendre vaut bien quelques reniements.

Ce qui ressort de ces multiples portraits de ceux qui se firent capter par l’étoile communiste est la foi.

Foi chrétienne ou juive, vite transférée vers l’Avenir radieux. C’est Edgar Morin qui évoque une « espérance de salut dans la rédemption collective » p.54 ; c’est André Gide qui dit sa fascination, « ce qui m’amène au communisme, ce n’est pas Marx, c’est l’Évangile » p.34 ; c’est Pierre Pascal, catholique bourgeois sorti de Normale Sup qui s’est converti à l’URSS : « il est heureux, il a vu Dieu : Karl Marx lui a parlé », le décrit Albert Londres en 1920 p.36 ; c’est Raymond Lefebvre, bourgeois protestant, qui adhère au communisme par la souffrance de la Grande guerre et l’idéal du pacifisme p.38 ; c’est Manès Sperber, juif de Galice, pour qui l’attente de la Révolution est la suite naturelle de celle du Messie ; ce sont Louis Althusser et Roger Garaudy, militants chrétiens, qui voient dans le Parti une moderne Église.

Il y a d’autres voies de conversion : celle d’Aragon, intellectuel bourgeois surréaliste (ce qui fait beaucoup de défauts pour les prolétaires à la tête du PCF…) – mais surtout bâtard du Préfet de police de Paris, avide de retrouver une famille, une fraternité, la reconnaissance du Père – d’où cette ode à Staline dans Hourra l’Oural en 1934 ; celle de Georges Friedmann, scientifique qui percevait l’URSS comme un État savant, vecteur du progrès contre l’obscurantisme bourgeois (« bourgeois » était l’injure suprême de l’époque, on ne disait pas encore « ultralibéral »), celle de Paul Langevin et Henri Wallon ; celle de Maurice Thorez, « Fils du peuple » (titre de son « auto » biographie écrite par Jean Fréville en 1937), à qui le Parti a permis l’ascenseur social ; celle de la Résistance, comme Edgar Morin, Lise Ricol-London, Annie Besse épouse Kriegel, Pierre George ; celle des anticolonialistes Aimé Césaire, Ho Chi Minh, Jean Dresch ; celle des intellos, passés par les khâgnes où la rébellion en serre de cet âge étudiant se focalisait sur la religion communiste – tellement antibourgeoise – ce fut le cas pour Emmanuel Le Roy Ladurie, François Furet, Michel Foucault, Mona Ozouf, Paul Veyne, Maurice Agulhon…

Tous regardaient au-delà du présent vers l’avenir, au-delà du réel vers l’utopie, au-delà de la complexité vers le simplisme. Marx avait prophétisé l’Histoire en marche, le progrès inéluctable de l’Homme engendré par la lutte des classes, dont la finale serait prolétaire. Le Parti (avec majuscule) était l’Église (avec majuscule), voulu ainsi par Staline (ex-séminariste), qui révérait l’organisation hiérarchique et pyramidale catholique et l’avait prise pour modèle. L’URSS était la Terre promise, le paradis en marche, l’endroit où le catéchisme devenait réalité – ce fameux « socialisme réel » dont on a mesuré, depuis, tous les travers.

communisme 2015 10 revue l histoire 417

Il faut comprendre cette foi pour comprendre combien notre époque – depuis Mitterrand – apparaît grise et triste.

Le socialisme rose n’a rien à voir avec le feu immense et rouge. Le socialisme non « réel » se veut réformiste, tout en gardant une phraséologie révolutionnaire. Sans cesse dans le grand écart : il ne peut que décevoir ceux qui aimeraient croire, qui ont BESOIN de croire. D’où la conversion de certains à l’écologisme, cette nouvelle foi dont le credo commence par l’Apocalypse.

Contrairement à la prophétie de l’intellectuel barbu, le communisme n’était pas l’avenir de l’humanité : trop de rigidité, d’inquisition, d’exclusion. Une doctrine figée comme un Coran, une politique soupçonneuse sans cesse à épier « la ligne », les pogroms successifs de « bourgeois », « d’intellectuels », de « traîtres », de « juifs », de « déviants »… Où sont l’émancipation tant vantée, la liberté retrouvée, l’harmonie de l’homme avec SA nature et avec LA nature, la fraternité universelle ? Le « socialisme réel » de l’ex-URSS, de la Chine de Mao, du Cambodge de Pol Pot, du Cuba des frères Castro, de la Corée nordiste des dictateurs paranoïaques qui y sévissent depuis plus d’un demi-siècle sont des repoussoirs, des repaires de Satan – pas des jardins de délices où coulent le lait et le miel (et où attendent, soumis, les vierges et les éphèbes).

L’avenir est à inventer – mais bien loin de la foi !

Toute croyance venue d’en-haut ou de l’intérieur, d’une révélation divine ou de l’esprit humain enfiévré, est une illusion qui enferme. Pour libérer l’humanité de ses chaînes, pour libérer chacun de ses déterminismes subis, ni Bible, ni Évangile, ni Coran, ni Manifeste, ni Livre rouge – mais le patient et humble travail de chaque jour : prendre les choses à la base, une à une, en fonction du possible.

Toute foi est un poison qui empêche de penser, qui fait agir en masse sans réfléchir, qui juge et exclut – voire massacre – sans état d’âme parce que la foule le fait et que le parti l’a dit. Le communisme a été une leçon de plus, après le christianisme et le judaïsme, des méfaits de la religion – quelle qu’elle soit. L’islamisme, cet islam dévoyé, prend à son tour le chemin de la rigidité, de l’inquisition, de l’exclusion. L’humain est-il capable d’apprendre un jour ?

Revue L’Histoire, n°417, novembre 2015, €6.40 en kiosque ou sur Amazon
http://www.histoire.presse.fr



Fantasmes sur le net

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L’éditeur d’un blog n’est pas seulement celui qui écrit, illustre et qui met en page. Il est aussi l’administrateur, celui qui dispose des statistiques de lectures, de requêtes et de redirections. A ce titre, l’hébergeur met à sa disposition toute une série de statistiques fort précises sur les mots-clés qui permettent d’arriver sur le blog.

Nombre de ces mots-clés ne sont pas mentionnés ni illustrés forcément dans le sens que la requête demande : si vous cherchez « table » dans l’œuvre de Shakespeare, vous allez forcément tomber dessus – et ce n’est pourtant pas le thème d’une quelconque pièce ou poème. Même chose pour les blogs : le mot « noir » peut être mentionné pour un tableau, un ciel ou un chat – il sera retenu par les moteurs de recherche aussi pour les humains. Pareil pour « sexe », même s’il s’agit de celui des anges ou du synonyme du mot genre.

La lecture des mots tapés sur les moteurs pour aboutir sur le blog est édifiante, non seulement pour l’orthographe ou la syntaxe (tous les francophones ne sont pas également lettrés), mais pour les fantasmes qu’ils révèlent. J’en prends quelques exemples, tirés des statistiques de WordPress pour ce blog.

On constate aisément que les requêtes au hasard ont peu de choses à voir avec les articles les plus lus :

Exemples de requêtes :

requetes blog

Articles les plus lus :

articles phares blog

Le fantasme se dit fantasy en anglais, faux-ami qui montre cependant combien l’amour est enfant de Bohême, le scénario imaginaire (ainsi que Freud définit le fantasme) est proche de la liberté fantaisiste. Le fantasme met en scène un désir, mêle l’inconscient et le conscient, le reptilien et le cortex. Ainsi cette requête (orthographe respectée) : « filles togolaise de 16 ans qui cherchent des garçons adolescent poue les niquer », ou celle-ci : « noire viola une fille on lecole », ou encore toute une histoire en quelques mots : « jeunot a porte les courses a victoria qui dormait porno ». Les quêteurs sont probablement des garçons, issus de minorités ethniques, qui voudraient bien savoir comment séduire soit en se laissant faire avec les filles en manque, soit en dominant une fille plus ou moins forcée.

Il y a plus doux : « photos sexy filles a maillot mouiller avec leur tetons qui poitent », « en classe avec son peni décalotté », et plus immédiatement utilisable en pratique : (requête fille ?) « comment faire entre la mais dans la culotte d’un garcon pour sentir sa bite », (requête garçon ?) « partie a caresser d la meuf » (pour répondre à cette question utilitaire, consultez par exemple Doctissimo). Sibyllin : « je besoin l’adresse d’une femme libre qui cherche l’amitié et surtout une femme d’arabie saudit ». Ou encore, enthousiaste : « le plus beau corps feminin nue du monde » (mais chacun a ses goûts).

girodet pygmalion et galatee detail

Lacan a prolongé la définition du fantasme en montrant combien tous les mots accolés parlent plus encore que le personnage principal. Ainsi cette interrogation : « une fille nu uro sous la plui » ou celle-là : « jeune mec se fait baiser par une racaille dans un cion de rue », ou encore cette impossibilité organique : « baise de pre ados gai ». On voit sans peine que ce ne sont ni la fille, ni le mec, ni le garçon qui compte dans le fantasme, mais toute la mise en situation autour (« sous la pluie », « coin de rue ») et toute la radicalité symbolique de l’autre (« nu uro », « racaille », « préado »). Le désir fantasmatique est amplifié par ces détails que sont la nudité sous l’eau qui tombe (uro veut dire se pisser dessus), la baise en lieu public isolé avec un brutal frustre ou la fiction qu’un préado puisse être « gay » (cet âge n’est pas fixé).

Même chose pour ces jolis « beurs niqueurs scouts » et « fils generaux algerien porn » : le fait que les beurs (qui font la requête ?) se projettent en « scouts » (réputés vivre sensuellement entre eux dans la nature) ajoute du signifiant au scénario ; pareil pour les fils de généraux, fantasmés comme riches et puissants, donc libres de réaliser leurs désirs plus facilement pour l’Algérien moyen.

Ce pourquoi la syntaxe du fantasme peut être contradictoire, comme « femme en uniforme nue qui baise par un chasseur » : ce qui compte est d’accoler la nudité à l’uniforme dans l’imaginaire, pas de constater dans la réalité que ce ne peut être seulement ou l’un ou l’autre… Ou encore ce charmant « homme qui se fait defoncer le cul par une femme hermaphrodites » : quel intérêt que ce soit « une femme » ? Le clou revient quand même à « mourir torse nu » où le summum du désir semble être atteint dans le masochisme – souffrir, être nu, pour l’ultime fois. Ce que Freud appelle un « refoulement originaire » dans Un enfant est battu, 1919.

La requête peut être aussi en complet « délire », ce qui est défini par Freud comme une reconstruction du monde extérieur par restitution de la libido aux objets. Ainsi « egypte tintin circoncit femme » : la réalité est occultée complètement au profit de ce qui complaît à la foi. S’il y a très rarement des femmes dans Tintin (en raison des lois cathos sur la jeunesse), il ne saurait y avoir une quelconque circoncision pratiquée par le héros (de quoi être interdit dans la monarchie bruxelloise) – et l’Égypte n’est évoquée que par les « cigares du Pharaon » (quoique que le mot cigare soit ambigu dans l’imaginaire sexuel). De même, « oser le nu dans les tribu tribal » marque une particulière ignorance de ce que signifie une tribu (puisqu’elle doit être en plus « tribale » !) et comment une tribu sauvage (sens probable du fameux adjectif « tribale ») vit couramment : nue. Dès lors, qu’y a-t-il à « oser » ? Le garçon comme la fille fait comme tout le monde dans cet univers tribal où tout est codifié et où chaque âge est initié en son temps : il et elle sont nus… naturellement, sans avoir rien à « oser ». Le « péché » n’existe pas lorsqu’on obéit tout simplement aux normes de sa société, il n’y a que les religions du Livre qui soient totalitaires.

Lorsqu’on lit « femme jeune de 12 ans qui aime baiser », on se dit qu’il y a contradiction (on n’est pas « femme » à « 12 ans »), puis l’on se dit que la requête émane très probablement d’une secte religieuse particulière qui trouve la situation normale (Mahomet s’est marié avec une fillette de 9 ans – mais tout l’islam ne le copie pas). Dès lors, il y a plutôt endoctrinement et hors-la-loi plutôt que simple délire. Mais ce n’est pas la gauche bobo, qui nie tout problème islamique, qui cherchera à approfondir : plutôt accuser un montage d’ado en slip dans une classe d’être « pornographique » sur un blog européen classique que condamner les pratiques réelles d’esclavage sexuel de fillettes de 8 ans des musulmans de l’état islamique et les appels à faire pareil sur les sites des blacks et beurs en France. Des fois qu’eux viennent vous égorger…

Le fantasme fonctionne aussi hors du sexe, avec les mêmes contradictions, telle cette mystérieuse (mais pas si fausse) « theocratie marxiste ». C’est vrai que « le » marxisme (qui n’est pas la philosophie de Marx mais une interprétation qui varie) a pour croyance de détenir « la » vérité de l’Histoire universelle et du Progrès, posé comme inéluctable par son propre mouvement. La philosophie – qui n’est qu’un regard porté sur le monde à un moment donné – devient alors une Bible, gravée dans la pierre pour l’éternité. Vérité qu’il faut donc imposer pour que l’Histoire accouche selon les lois. Mais on parle alors plutôt d' »idéocratie » – la précision des mots montre la rigueur de la pensée.

Explorer le monde actuel par les requêtes principales sur les moteurs, qui aboutissent au blog, est une expérience enrichissante. Plutôt que d’ignorer ce qui gène (le « déni » selon Freud), pourquoi ne pas voir ce qui est ? Plutôt que de foncer sur les moulins à vent (sans aucun danger), pourquoi ne pas dénoncer ce qui est grave (et qu’on ne veut pas voir) ? Toute la frivolité bobo de notre société de soi-disant « intellos » est dans ce grand écart.


Vanille, tiare et plantes menacées à Tahiti

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Très forte baisse de la production de vanille. Le volume de vanille a diminué de 63% en un an, alors que le prix au kilo progresse de 24% par rapport à avril 2014. On annonce seulement 12 tonnes de produit pour 2015, autant dire que les prix n’ont pas finis d’être en augmentation à l’export. 12 tonnes c’est la moitié de la production de 2014. En 2014, le prix était de 20 000 XPF/Kg, en 2013 de 18 000 XPF/Kg (pour 31 tonnes) alors que de 2009 à 2012, le prix moyen était de 17 000 XPF/Kg.

vanille

Il faut régénérer une plantation de vanille tous les 7 ans et cette année beaucoup de plantations sont en régénération. En 2014, il a fait « froid », la pluie a fait tomber les fleurs, la pollinisation manuelle a été effectuée dans de mauvaises conditions. De nouvelles ombrières seront installées, 42 pour être précis, qui représentent une superficie de 2,4 hectares principalement aux Iles sous le Vent (37 ombrières soit 2,1 ha) et 5 aux Iles du Vent (0,3 hectares). Attation, pas kado ! Ces ombrières seront attribuées aux agriculteurs produisant plus de 500 grammes par tuteur et ayant un terrain situé dans une bonne zone de production.

Coût de la structure livrée clés en main à l’agriculteur ? – 2 900 000 XPF. Le pays participe via l’établissement public Vanille de Tahiti à 50% du montant pour les agriculteurs des Iles Sous le Vent (Raiatea, Tahaa, Huahine, Bora Bora, Maupiti) et à 40% pour ceux des Iles du Vent (Tahiti et Moorea).

L’espèce endémique de la fleur emblème de Tahiti, le Tiare Apetahi (qui veut dire regarder de côté, de travers) ne pousse que sur l’île de Raiatea et uniquement sur le Mont Temehani. Elle se raréfie dangereusement. En 20 ans la plante a disparu à 81%. C’est une plante fragile comme du verre. Elle ne se marcotte pas, ne se bouture pas. Si un rameau se casse, il ne repousse pas.

Il faut protéger et réhabiliter la vallée de la Punaruu. Cela commence quand ?

vallee de punaruu

On a constaté la présence de 200 plantes indigènes répertoriées, dont 83 plantes à fleurs et 47 fougères. Or il est reparlé des touristes qui envahiraient les lieux venant de l’hôtel Mahana Beach à Punaauia. On veut construire un fare qui retracerait l’histoire de cette vallée, on engagerait des guides locaux pour conduire les touristes, du travail pour les jeunes locaux, on sauverait les orangers du plateau, on sauverait les anguilles, et les omama’o (Pomarea nigra), oiseaux en voie de disparition. On…, on… Mais, au fait qui c’est « on » ? C’est de la poésie ? Cela rime avec … (ce que vous devinez) ?

Mais d’abord parlons espèces sonnantes et trébuchantes. C’est là le nerf de la guerre et toutes les entreprises installées dans cette vallée possèdent leur siège social ailleurs qu’à Punaauia – donc les taxes, les impôts, volent vers d’autres cieux.

Hiata de Tahiti


Mark Twain, Les aventures de Tom Sawyer

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mark twain oeuvres pleiade
Une belle aventure de gamins dans la première moitié du XIXe siècle au bord du Mississippi. L’auteur, père fondateur de la littérature populaire américaine, né en 1833 sixième de sept enfants, a passé sa jeunesse de 4 à 18 ans dans le village d’Hannibal au bord du grand fleuve. Il en a fait St Petersburg pour Tom Sawyer. Le village, c’est la famille, même pour Huck Finn qui n’en a pas ; le fleuve, c’est l’aventure, le grand large, le rêve d’être pirate ou brigand. Ainsi l’enfance est-elle constamment tiraillée entre confort et audace, tendresse et courage, discipline imposée et démon de ne pas tenir en place.

Les jeunes personnages des garçons Tom et Huck, des filles Becky et Amy, sont vrais; ils sont tirés de la réalité et du talent de conteur. Si Tom saute la palissade plutôt que de sortir par la porte ouverte, les garçons d’aujourd’hui en font autant, j’en ai un sous les yeux, 11 ans, qui ne manque jamais d’escalader la grille plutôt que de tourner la poignée. Il a besoin d’exercer ses muscles, de dépenser son énergie prépubère, jouant volontiers en tee-shirt à col bayant par douze degrés dehors. Tom, dont la tante a cousu le col de chemise à sa veste pour qu’il ne se débraille pas, le découd en sortant de chez lui : comme tous les jeunes garçons en croissance constante, son corps supporte mal les contraintes vestimentaires.

tom sawyer fait boire le chat

Samuel Clemens s’est fait appeler Mark Twain à 20 ans avant de passer son brevet de pilote de bateaux à vapeur sur le Mississippi en 1859. La « marque deux » signifie qu’il reste deux brasses sous la quille, juste de quoi passer les hauts fonds qui ne cessent de bouger sur le fleuve. Tom et Huck tous les deux sont l’auteur, les deux faces qui le tiraillent depuis l’enfance – les deux faces du peuple américain depuis les origines : le conformisme moral et la vie sans entraves, la Bible et l’existence de pionnier.

Tom est orphelin, vaniteux, malicieux, qui aime qu’on s’intéresse à lui, mais il se montre aussi courageux et généreux ; Huck est fils d’ivrogne, en guenilles, discret et naïf, plus hédoniste que rebelle, heureux de sa complète liberté au jour le jour. Les gamins aiment aller sans contraintes, pieds nus dès le printemps, se frottant aux épines et aux pierres en escaladant les murets, s’éraflant la peau comme les habits et aimant ça, étouffant sous les vêtements qu’ils débraillent, déchirent et salissent sans souci, n’hésitant pas à s’en dépouiller pour se baigner dix fois par jour ou jouer nus aux Indiens, ornés de bandes de boue sur le torse. « Ces fichus habits qui m’étouffent », dit Huck à Tom, « on dirait qu’il n’y a pas d’air qui peut passer à travers ».

kuck finn et tom sawyer film Selznick 1938

Cette liberté fait vivre Huck le gavroche dans un tonneau, comme Diogène, se nourrissant de ce que les gens lui laissent par gentillesse ou en échange de services rendus. Tom, lui, est flanqué d’une tante sévère au cœur d’or, d’un petit demi-frère Sid, enfant modèle et cafteur, et d’une cousine adorable qui est un peu sa grande sœur. Il est amoureux d’Amy, puis de Becky (fille de juge), pour laquelle il se fera fouetter avant que le couple ne se perde lors d’une fête dans une grotte, trois jours durant. Le garçon révélera sa noblesse et sa vaillance en persévérant, protecteur, pour trouver la sortie malgré la fatigue et la faim. Mais il n’aura pas hésité, avant cet exploit, à fuguer près d’une semaine sur une île du fleuve avec ses deux compères Huck et Joe, vivant à l’aise comme des pirates, nus tout le jour et dormant à la belle, même sous un orage formidable qui les trempe comme une soupe.

tom sawyer statue

Ils seront aussi témoin d’un meurtre dans le cimetière à minuit, Tom témoignant in extremis pour sauver l’accusé innocent, Huck prévenant juste à temps les voisins d’un crime prêt de se commettre. Joe l’Indien (le coupable) représente tout ce que la sauvagerie peut avoir de fascinant et d’angoissant dans ce pays encore neuf. Ils trouveront un trésor, le magot amassé par l’Indien plus celui d’une bande trouvé dans une cachette. Mais si Tom finit par épouser la civilisation avec la fortune, la fille et son adoption par le juge, Huck reste ce pré-soixantuitard qui préfère l’ici et maintenant à l’accumulation pour l’avenir. Cigale plutôt que fourmi, libertarien plutôt que capitaliste, naturel (volontiers naturiste) plutôt que citadin. Il s’épanouira dans un second tome.

tom sawyer joue nu aux indiens

Les enfants pensent à la mort, se demandent si l’on tient à eux, sont soucieux du regard des autres – en bref, ils pensent à l’amour. Tom surtout cherche à se mettre en scène, à composer les scénarios des aventures qu’il fait jouer à la bande de garnements dont il est évidemment le chef, et à faire de beaux discours pour les raconter ensuite en enjolivant son rôle. Il est l’auteur du livre, il est le bon vendeur américain, il est le gamin éternel. Ce trait de personnalité n’est pas pour rien dans l’attachement que l’on a pour lui.

L’éditeur anglais a prédit que le livre plaira aux jeunes garçons mais aussi aux philosophes et aux poètes. Il est devenu un classique même si Aventures d’Huckleberry Finn, qui suivra, est mieux réussi, et si l’hypocrisie du politiquement correct censure impitoyablement le mot « nègre » qui apparaît plusieurs fois. Comme s’il suffisait de bannir un mot pour que la chose disparaisse… Les relations de la police américaine avec les Noirs de nos jours prouvent qu’il n’en est rien, même si on les appelle Afro-Américains, ils n’en restent pas moins affreux Américains dans la (bonne) conscience collective.

Nous sommes avec Tom dans le paradis de l’enfance, toujours à la lisière du dressage social et de la liberté sauvage du corps et des pulsions. Cette tension fait tout le sel de la vie rêvée des jeunes garçons. Mark Twain écrit pour les petits Américains ce que Robert-Louis Stevenson écrivit pour les petits Anglais : son île au trésor.

Mark Twain, Les aventures de Tom Sawyer, 1876, Œuvres, traduction nouvelle Philippe Jaworski, illustrations originales de True W. Williams, Gallimard Pléiade 2015, 1581 pages, €65.00
Mark Twain, Les aventures de Tom Sawyer, 1876, Garnier-Flammarion 2014, 288 pages, €5.40
Mark Twain, Les Aventures de Tom Sawyer suivi de Les Aventures de Huck Finn, format Kindle, Amazon media, 1655 Kb, €1.94

DVD Tom Sawyer, 1973, réalisation Don Taylor avec Jodie Foster et Johnny Whitaker
DVD The Adventures of Tom Sawyer, 2002, réalisation George Cukor, avec Tommy Kelly et Ann Gillis, Prism, €4.78

Les œuvres de Mark Twain chroniquées sur ce blog


Jean-François Parot, La pyramide de glace

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jean francois parot la pyramide de glace
Dans cet hiver glacé de 1784 à Paris, Nicolas Le Floch veille. L’éruption volcanique en Islande de 1783 a étendu un petit âge glaciaire sur le nord de l’Europe et la famine tue dans les villes. Le roi Louis XVI, dans sa bénévolence, fait entrer du grain par charrettes parce que la Seine a gelé. Le populaire érige des pyramides de glace pour célébrer l’événement.

Mais le guet découvre lors d’une journée de dégel une femme morte, ensevelie toute nue sous une pyramide des faubourgs. Elle ressemble étonnamment à la reine Marie-Antoinette, que les libelles intellos vilipendent depuis 14 ans bien qu’elle ait donné un fils à Louis XVI. Une émeute populaire est en train de naître à la découverte du cadavre, que le commissaire a du mal à mater. Ne serait-elle pas attisée en sous-main par des agents stipendiés ? Quelque Grand ne comploterait-il pas contre ce roi trop faible, afin de lui ravir le trône, aidé de l’étranger ?

Étranges sont en effet ces parties fines où des femmes se font besogner à la chaîne, dans le plus simple appareil, par des nobles dans des maisons isolées pourvues d’un décor de grand luxe et où coulent les vins et les liqueurs. Le duc de Chartres, branche Orléans, les organise volontiers, même s’il fait élever ses propres enfants au couvent.

Mais cette fois, des porcelaines de Sèvres au monogramme de la reine, volées à Versailles, accréditent la rumeur selon laquelle son sosie n’en serait pas un mais qu’elle participerait elle-même à ces débauches. Le Dauphin serait-il alors l’héritier de Louis XVI ? N’accuse-t-on pas déjà le comte de Fersen, le beau Suédois, d’être l’amant de la reine et le véritable père de son enfant ?

Nicolas Le Floch, marquis de Ranreuil, allie sagacité à prudence. Dans cette toute dernière enquête, il avance pas à pas dans un écheveau de faits embrouillés par la politique, où la justice vaut moins que la Raison d’État.

Un brin bavard mais fort documenté, ce dernier opus des enquêtes du commissaire au Châtelet ensorcelle. Il est émaillé à l’habitude de délicieux mots d’époque et de recettes de cuisine qui revigorent en plein hiver.

Jean-François Parot, La pyramide de glace, 2014, éditions Jean-Claude Lattès, 477 pages, €19.00

La première enquête de Nicolas Le Floch, chroniquées sur ce blog


Dan Kiley, Le syndrome de Peter Pan

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dan kiley le syndrome de peter pan

Peter Pan est un petit garçon qui refuse de grandir. Il ne veut pas de la responsabilité d’adulte, du travail, de la famille, des obligations. Depuis la fin des années 1960, avec l’élévation du niveau de vie des classes moyennes et supérieures, l’enfance tend à durer dans l’insouciance, l’irresponsabilité et le narcissisme. Ce que l’on nomme depuis les « adulescents » était pointé avec justesse et précision par l’auteur, psychologue praticien.

Certes, il prêche pour sa paroisse, mais l’écriture de son livre n’est pas seulement une publicité pour la dépense chez le psy. Il décrit un véritable syndrome, cet ensemble de symptômes qui font sens pour décrire une pathologie sociale que les acteurs (parents et enfants) sont bien souvent incapables de régler par eux-mêmes. L’auteur donne des pistes pour s’en sortir, un test à réaliser, des étapes logiques de changement pour le couple et envers l’enfant, mais les émotions sont tellement fortes et les habitudes ancrées que l’aide d’un spécialiste extérieur est probablement nécessaire.

Parents démissionnaires en querelle entre eux, culpabilité du garçon envers sa mère possessive alors que son père l’ignore, incapacité à se voir fixer des limites et une discipline – sont autant de causes pour l’infantilisme prolongé. Les filles sont aussi atteintes, mais autrement en raison des rôles sociaux. L’auteur renvoie à un autre livre, celui d’une collègue, Colette Dowling, auteur du Complexe de Cendrillon.

Quel est cet adulte-enfant ? Un garçon, de 12 à 50 ans.

L’enfance elle-même, avant la puberté, n’est pas en cause : il est « normal » d’être irresponsable, angoissé, solitaire et en conflit avec les filles. C’est justement grandir qui fait assumer ce qu’on est et le regard des autres. Mais qui présente ces symptômes (ensemble ou quelques-uns, atténués ou accentués) après 12 ans (ou un peu plus selon les garçons) est en danger de dérive vers le Pays imaginaire. La réalité est exigeante ? – oublions là. Réfugions-nous en nous-mêmes, dans notre petit univers de fantasmes et de Bisounours, ce cocon familier où tout va bien, où tous les autres sont des gêneurs.

Dan Kiley, américain de la génération des années 1960, retrouve les traits de l’adonaissant Peter dans les jeunes qui viennent le consulter (volontaires ou forcés par maman ou chérie). Il établit p.19 un « profil social » un peu théorique, mais éclairant :

  • 12 à 17 ans, quatre symptômes : irresponsabilité, angoisse, solitude et conflit à l’égard du rôle sexuel
  • 18 à 22 ans, extension du refus, narcissisme et machisme en plus du reste
  • 23 à 25 ans, vague insatisfaction devant la vie et crise aigüe de grandir
  • 26 à 30 ans, installation dans la phase chronique de l’adulte qui joue à être mûr sans l’être
  • 31 à 45 ans, souvent marié avec enfants et emploi stable, mais souffre d’un désespoir qui rend sa vie fade et monotone
  • 45 ans et plus, dépression et agitation augmentent à l’approche de l’andropause, souvent comportement de « jeunisme ».

peter pan jeremy stumpter

Ce qui marque, dans la psychologie des Peter Pan, est la prédominance des émotions, la procrastination (tendance à toujours remettre au lendemain), l’impuissance sociale à se faire de vrais amis compensée par un suivisme des pairs pour se faire accepter, l’usage de la pensée magique (si je pense que cela n’existe pas, cela n’existe pas – si je crois que cela doit être, cela est). Ils se sentent souvent en colère et coupables envers maman, désirant être proches de papa qui les ignore, ils restent immatures et infantiles envers les filles et inaptes à nouer une relation stable (incapables d’affronter une femme indépendante).

Une partie est consacrée à la description détaillée du syndrome en ses symptômes, et toute une autre partie à « travailler au changement ». C’est passionnant, pratique selon l’usage américain, écrit sans aucun jargon (ce qui change du lacanien français).

A lire pour comprendre l’infantilisme immature de « l’opinion » actuelle, le narcissisme exacerbé des adolescents garçons – et la pensée magique des politiciens éperdus de se faire bien voir de la foule sentimentale.

Il n’est pas inintéressant de constater que la société tout entière, avec son individualisme croissant, son narcissisme précoce, sa solitude compétitive, sa sexualité immédiate sans souci des conséquences, ses exigences d’écraser les autres pour se pousser devant – favorise ce syndrome de Peter Pan. Depuis les ados otaku japonais aux flemmards vissés sur leurs jeux vidéo français, iPod sur les oreilles, fermés au monde, fermés aux autres, fermés à tout agir.

Peter Pan est le fils de notre société, même si son auteur, J. M. Barrie, l’a créé dès 1902 sur le modèle de son frère, mort à 14 ans. L’Angleterre très victorienne, à la morale rigide et au qu’en-dira-t-on féroce, encourageait la démission de l’être faible qui rêvait à autre chose qu’aux « devoirs » familiaux, sociaux, religieux. En 1974, en plein essor du perterpanisme, Gérard Lauzier a fait paraître dans Lui une bande dessinée « pour adultes », Les sextraordinaires aventures de Zizi et Peter Panpan : la pensée magique de l’orgasme conduit à copuler dans les rues, à se faire réprimer puis se révolter pour jouir sans entraves, sans couple ni descendants, tout et tout de suite.

Il était en phase avec l’infantilisme de la société qui n’a cessé depuis de se développer avec, pour réaction, la frilosité envers l’avenir et le puritanisme envers tout ce qui pourrait menacer le cocon des concons.

Dan Kiley, Le syndrome de Peter Pan (The Peter Pan Syndrome), 1983, Traduction française Jean Duriau, Odile Jacob poches 2001, 315 pages, €7.90
J.M. Barrie, Peter Pan, 1906, Librio littérature éditions 84 2013, 144 pages, €2.00

BD Gérard Lauzier, Les sextraordinaires aventures de Zizi et de Peter Panpan, 1974, Glénat 1995, occasion €0.15 ou poche J’ai Lu 2001, 124 pages, occasion, €1.00

DVD Peter Pan de P.J. Hogan 2004, avec Jeremy Sumpter, Columbi Tristar blue-ray, €13.13
DVD Peter Pan et le pays imaginaire (Neverland) de Nick Willing 2011, avec Charlie Rowe, €8.43
DVD dessin animé Walt Disney, Peter pan et Peter Pan 2 au pays imaginaire, Buena Vista 2007, €39.00


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