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Haruki Murakami, L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage

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haruki murakami l incolore tsukuru tazaki
Un titre tarabiscoté (celui de l’auteur) et une couverture poche flashy (celle de l’éditeur), ne rendent pas justice à ce dernier roman en poche du japonais Murakami. Tsukuru (prononcez Tsoukoulou) a été adolescent dans les années 1980, soudé dans un club des cinq dès le collège et durant toutes ses années lycée. Les trois garçons et les deux filles étaient amis comme on est en harmonie, avec toute la ferveur et les angoisses de l’adolescence. Seul le sexe était tabou car cela aurait été crever l’œuf des quintuplés et devenir adulte…

Sauf que… Murakami a ce génie très peu japonais de décaler ses personnages. Lycéens modèles, étudiants moyens, travailleurs formatés, quatre sur les cinq s’insèrent sans problème dans la société de fourmis, tous plus ou moins hors de leur moi profond mais sachant parfaitement jouer le jeu. Il n’y aurait pas d’histoire si, justement, des décalages ne survenaient.

Le premier est l’exclusion, brutale et tacite, de Tsukuru du groupe, deux ans après qu’il fut parti étudier à Tokyo à la suite du lycée. Tous les autres sont restés à Nagoya – a-t-il été perçu comme un traître au groupe ? Il se trouve qu’il est le seul dont le prénom ne soit pas une couleur mais signifie « construire » – ce côté performatif a-t-il lassé les autres ? Il était le seul également à ne pas avoir de caractéristiques bien précises, sauf qu’il affectionnait les gares – est-ce la raison de sa mise à l’écart ?

Seize ans plus tard, il souffre encore de ce traumatisme. Imaginez, dans une société aussi policée et groupale que la société japonaise, être exclu sans raison ? C’est comme si vous étiez jeté à l’eau sans aucun vêtement la nuit du pont d’un Transatlantique sans que personne ne se préoccupe de votre sort. Après s’être rapproché durant quelques mois de la mort, dépressif, Tsukuru s’est ressaisi en voyant son corps nu, émacié, dans le miroir. Il s’en est sorti, non sans mettre le couvercle sur la blessure… qui ne peut que ressaigner des années plus tard, faute de soins !

Car après avoir eu pendant près d’une année un ami étudiant, de deux ans plus jeune, avec qui il allait régulièrement (en tout bien tout honneur) nager, déguster de la cuisine et écouter de la musique, il a désormais une copine à laquelle il tient. Haida, l’ami de 18 ans, l’a quitté lui aussi sans explication et n’a pas repris ses études. Y aurait-il quelque chose qui cloche chez Tsukuru, incapable de nouer des relations durables ? Sara l’aime bien, il aime Sara, mais parfois ils ne peuvent faire l’amour : Tsukuru débande, comme honteux, alors qu’il a de puissants rêves érotiques par ailleurs.

Sara lui demande, avant d’aller plus loin dans leur relation à deux, de porter le fer dans la plaie et de retrouver ses quatre amis d’adolescence pour savoir pourquoi ils l’ont exclu. Ce qu’entreprend de faire Tsukuru, non sans hésitation. Durant ce « pèlerinage », il va découvrir peu à peu la vérité – bien loin de tout ce qu’il pouvait imaginer. Il va découvrir aussi que son aspect « incolore » n’était en rien négatif pour les autres et qu’il est peut-être le seul à s’être épanoui adulte dans son travail, sinon dans sa vie personnelle. Sauf qu’il écoute trop souvent les Années de pèlerinage de Lizst, notamment Le mal du pays, qui le ramène à ce paradis perdu qu’est le cocon de fin d’enfance.

Sortir de soi, surmonter ses souvenirs, bâtir quelque chose avec Sara comme il bâtit des gares, voilà ce que Tsukuru va entreprendre. Avec ses faiblesses et sa beauté intérieure, que parfois les autres voient, et que lui ne parvient plus à percevoir, figé par son traumatisme. Justement, « ce n’est pas l’harmonie qui relie le cœur des hommes. Ce qui les relie bien plus profondément, c’est ce qui se transmet d’une blessure à une autre. D’une souffrance à une autre. D’une fragilité à une autre. C’est ainsi que les hommes se rejoignent » p.299. « Homme » est pris ici au sens français neutre « d’être humain », car Tsukuru s’adresse à une femme.

L’auteur décrit avec une acidité mêlée d’une certaine tendresse le vendeur de voiture Lexus (à croire qu’il a été payé pour cette pub), le coach de stagiaires désirant à toute force s’intégrer dans les entreprises, les gens pressés des gares bondées, le travail méticuleux et minuté des employés du chemin de fer tenus par l’horaire, ou encore la céramiste nippone exilée en Finlande. Il voit les travers du Japon tout en restant indéfectiblement japonais, ce qui rend son roman et ses personnages universels.

Vous aimerez « l’incolore » Tsukuru (l’absence de couleur n’est pas un défaut), vous aurez de la tendresse pour ses faiblesses comme pour son obstination, pour sa faculté à se mouvoir comme un rouage de montre bien ajusté – comme de son pouvoir d’aller ailleurs, vers le passé et vers l’autre pour faire fleurir cette petite originalité que chacun porte en lui. Car, comme le dit un personnage, « Moi, je ne crois à rien. Je ne crois pas à la logique, ni à l’absence de logique. Je ne crois pas en Dieu, pas plus qu’aux démons. Je ne développe pas d’hypothèses, je n’accomplis pas de saut. Je me contente d’accepter les choses sans un mot, telles qu’elles sont » p.91. Ce n’est qu’ainsi, en regardant la vérité en face, que l’on peut devenir soi.

Haruki Murakami, L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage, 2013, 10-18 septembre 2015, 155 pages, €8.10
Les œuvres de Haruki Murakami chroniquées sur ce blog



Michel Onfray, Traité d’athéologie

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michel onfray traite d atheologie
Comme d’habitude, Michel Onfray est polémique donc brillant – et excessif donc partial. Il « traite » les religions comme un gamin « traite » un autre en cour d’école : ce n’est pas faux, ce n’est pas vrai. Mais parfois plein d’humour, telles ces « volailles béates » pour désigner les anges (p.138). Ce livre est donc intéressant à lire, mais un peu court pour un Traité qui vise à faire le tour de la question.

Il structure son propos en 4 parties :

La première montre comment être athée, ce qui ne signifie pas nihiliste.

La seconde traite des trois monothéismes issus du Livre : le juif, le chrétien, le musulman.

La troisième insiste sur le christianisme, depuis la cristallisation du mythe Jésus (a-t-il vraiment existé, celui dont le nom Jésus signifie Destin et qui a été enseveli par d’Arimatie qui signifie Passeur vers l’au-delà ?) jusqu’à la haine du sexe, des femmes et de la vie par impuissance sexuelle de « l’Avorton de Dieu » (c’est ainsi que saint Paul se nomme lui-même).

La quatrième partie dissèque les théocraties, alliance du sabre et du goupillon, depuis Constantin de Byzance jusqu’à Khomeiny et George Bush.

« La notion de ‘Dieu’ a été inventée comme antithèse de la vie », déclare Nietzsche en exergue du livre. Dieu est en effet tout ce que l’homme n’est pas : beau, bon, bien, immortel, universel, omniscient… Le Coran lui attribue même cent noms dont seuls 99 sont connus ici-bas. L’antithèse de Dieu est le Diable, qui est bien de ce monde, donc mélangé de beau et de laid, de bon et de mauvais, d’immortel et de mortel, d’universel et de particulier, d’omniscience et d’ignorance…

En fait, ‘Dieu’ est le fétiche positif du dualisme qui sépare la chair et l’âme, la matière et l’esprit. Une antique division aussi vague et aussi tranchée que gauche et droite de nos jours. Onfray poursuit ici sa « contre-histoire » de la philosophie, Héraclite et Épicure contre Platon et sa suite jusqu’à Badiou, en passant par Hegel, Marx et les structuralistes. Si Dieu n’existe pas, les dieux existent, comme le communisme, le socialisme, l’écologisme, le droitdelhommisme… Toujours le Blanc contre le Noir dans cette mentalité formatée en noir et blanc. Qui n’est pas avec nous est contre nous, qui n’est pas de gauche est forcément (d’extrême) droite ou (ultra) libéral : on ne peut rien être à demi chez les petits esprits.

Car toute croyance est hors raison. L’être raisonnable ne peut rien argumenter contre la foi : elle est, se ressent dans l’intime, ne se discute pas. Michel Onfray n’a rien contre les croyants, il montre la beauté de la prière d’un musulman simple face à la lune au désert, en direction de La Mecque. La foi a permis de belles choses, comme les cathédrales et le chant grégorien. Mais il y a un fossé entre la croyance, personnelle, intime, et la religion, collective, institutionnelle, totalisante.

La religion s’impose, impose, crée l’impôt, punit. Surtout alliée au pouvoir politique ! Constantin l’empereur byzantin fait brûler les païens et leurs bibliothèques – au nom de Dieu – tout comme l’État islamique détruit Palmyre et les manuscrits non conformes au canon figé de leur Allah islamiste. Hitler admire l’église catholique et la foi combattante d’un Jésus chassant au fouet les marchands (juifs) du temple; Staline a pris modèle sur l’organisation hiérarchique de l’Église pour bâtir son parti de croyants « d’avant-garde » dont il était le pape.

Michel Onfray reprend les critiques des (juifs) Saul Friedlander et Daniel Goldhagen sur Pie XII et les complaisances catholiques envers les dictatures fascistes, nazies et conservatrices. Peut-être sans recul, tout au goût de la polémique : n’est-il pas compréhensible qu’un historien juif soit partial sur le nazisme ? Faut-il pour cela le croire sans critique ?

Combien de catholiques (et de protestants) ont – malgré Pie XII – sauvé des Juifs, enfants, adultes et familles entières ? Combien d’évêques se sont insurgés, au point de faire reculer Hitler sur certains points (hélas pas sur sa haine hystérique des Juifs, qui rencontrait le mythe du Peuple déicide) ? Pourquoi tant de familles nombreuses chez les catholiques, si ce monde-ci trop matériel est haï ? Faire des enfants, en pays riche, est-ce montrer une particulière horreur de la vie ? Combien de juifs adeptes de l’intelligence ici-bas, critiques aigus des dérives de la modernité et chercheurs scientifiques aussi, s’ils n’aspirent qu’à quitter ce monde pour l’au-delà ? Combien de musulmans qui prennent l’islam comme une foi, certes, mais surtout comme une discipline de vie qui les préserve de l’esclavage du consumérisme mené par la frivolité, la mode et la dépense dans l’excès : alcool, drogue et sexe à tout va ?

Il y a les intégristes de chaque religion, qu’il faut combattre et dont l’auteur détruit fort l’image de son ironie acide. Il y a les « pouvoirs » archaïques qui font pression sur les gouvernements et les opinions pour moraliser les mœurs : contre l’avortement, contre le préservatif, contre le mariage gai, contre les torses nus… Il y a aussi les curés pédophiles dont, curieusement, Michel Onfray n’a pas encore fait (à la date de publication du livre en 2005) son dada. Sans parler des viols psychopathes et des « mariages » forcés de fillettes de 9 ans « pour faire comme le prophète » – sous Daech.

Les Français, peuple laïque depuis deux ou trois siècles, sait faire la part des choses entre Dieu et César, entre le bon vivre et la discipline. Il est utile de rappeler combien « Dieu » peut n’être qu’une névrose collective, comme le montrait Freud. Mais ce livre de combat ne peut être qu’une étape négative vers d’autres ouvrages positifs. Mieux vaut dire comment s’extirper de l’obscurantisme et de la moraline que de dénoncer, une fois de plus, les ravages du trône et de l’autel.

Contre la religion, mieux vaut lire et méditer Nietzsche : lui, au fond, a bien tout dit – et plus brillamment à mon avis.

Michel Onfray, Traité d’athéologie – Physique de la métaphysique, 2005, Livre de poche 2006, 315 pages, €6.90
Les autres livres de Michel Onfray chroniqués sur ce blog


Géopolitique de l’Arabie saoudite

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L’Arabie saoudite est un petit pays, à la population autochtone réduite. Mais sa grandeur tient à ce qu’il recèle les premiers lieux de pèlerinage des Musulmans dans le monde, La Mecque et Médine, et son importance tient à ce qu’il recèle en son sous-sol les premières réserves de pétrole facilement exploitables de la planète. L’Arabie saoudite, nain démographique, est un géant du début XXIe siècle avec la religion et l’énergie. En sera-t-il de même dans quelques dizaines d’années ? D’autant qu’il se trouve pris dans les convulsions de l’aspiration démocratique du « printemps arabe » et dans les soubresauts stratégiques de l’ennemi régional, l’Iran, plus ou moins soutenu par la puissance russe.

arabie saoudite drapeau

Référence religieuse

L’Arabie saoudite se veut une sorte de Vatican de l’islam, même s’il n’existe aucun équivalent du pape dans le sunnisme (au contraire du chiisme avec les grands ayatollahs). Si nous poursuivons la comparaison avec la chrétienté (ce qu’Allah ne plaise), le sunnisme est l’équivalent du catholicisme tandis que le chiisme apparaît comme une dissidence « protestante » des origines.

Fidèle à la tradition, le prince Ibn Saoud (alors simple chef de village) conclut une alliance avec le religieux Wahhab en 1744, qui prônait une interprétation littérale du Coran, la Voix même de Dieu. L’islam vu par le wahhabisme doit progresser par la conversion, et celle-ci s’obtient par la conquête. Les fidèles doivent obéissance absolue au souverain qui, en contrepartie, a le devoir d’appliquer la loi divine révélée à Mahomet. La rente pétrolière – cadeau d’Allah – sert donc à une diplomatie du financement des imams et au prosélytisme partout dans le monde, notamment en Europe, où l’islam n’est pas organisé. Ce financement ne va pas sans exigences wahhabites : prôner un islam radical et rigoriste, au détriment des autres interprétations de la religion. Quarante ans de financement produisent leurs fruits : l’islam de France, par exemple, est de plus en plus noyauté par les wahhabites, constituant une « cinquième colonne » faisant pression pour imposer les mœurs littérales de l’islam bédouin à la république laïque.

Le salafisme est proche du wahhabisme, sans être confondu : il est né dans les pays ouverts, Égypte, Irak, Syrie, Inde et non dans l’univers fermé bédouin saoudien ; il ne s’inféode pas à la famille régnante saoudienne ; il a une lecture encore plus littérale du Coran que le wahhabisme. Il reste qu’en pratique, ce sont deux fondamentalismes puritains idéologiquement très proches et adeptes du petit djihad, celui de l’épée (variante pour incultes du grand djihad, celui de l’esprit).

Nous avons donc un royaume d’Arabie saoudite féodal, théocratique, qui n’utilise l’Occident que pour se moderniser et se protéger de façon tactique contre ses ennemis proches, mais qui récuse tout universalisme autre que celui d’Allah – imposé par la force du djihad. Nous voilà clairement prévenus : si l’on va déjeuner avec le diable, il faut une longue cuillère. Pas sûr que les Yankees l’aient compris, malgré le retour de bâton de l’attentat contre le World Trade Center (15 Saoudiens sur les 19 pirates de l’air) et le financement à guichets ouverts par « certains princes saoudiens » d’Al-Qaïda et de Daech…

Il n’y a pas que l’Occident à devoir se méfier de Riyad : il y a aussi tous les pays chiites, frères encore plus ennemis car considérés comme « renégats » de l’islam. La corruption des princes saoudiens qui vont à Londres ou sur la côte d’Azur jouir d’orgies interdites dans le royaume, l’organisation déficiente du pèlerinage de La Mecque qui vient de faire plus de 950 morts dans une « bousculade », la présence d’étrangers à demeure – par exemple une base américaine – sont autant de critiques qui sont faites au nom de l’islam contre le noyau de l’islam. Les djihadistes ex-afghans puis daechistes sont un danger intérieur saoudien dont ne faut pas négliger le pouvoir révolutionnaire (au nom même du wahhabisme).

Fanatisme saoudien

Référence pétrolière

Le royaume d’Arabie saoudite recèle en son sol à peu près 10% des réserves mondiales de pétrole connues et se trouve le 11ème producteur mondial de gaz naturel. C’est dire combien il pèse dans l’OPEP, l’Organisation des pays producteurs de pétrole, cet oligopole qui fixe le prix de référence du baril.

Les activités tournant autour du pétrole et du gaz sont vitales pour le royaume, elles représentent à peu près 80% des revenus. Avec une double menace : le pétrole de schiste américain et l’implantation trop proches de l’Iran des exploitations pétrolière en Arabie même.

Le gaz et le pétrole de schiste ont hissé en quelques années les États-Unis au rang de premier producteur mondial, malgré un coût d’extraction plus élevé. Le pays s’est donc affranchi des prix OPEP et produit sa propre énergie sans plus dépendre du golfe Persique. Cet état de fait explique pourquoi l’Arabie saoudite ne veut pas réduire sa production pour, dans le cartel OPEP, faire remonter les prix en asséchant l’offre. Elle veut au contraire maintenir des prix du pétrole très bas pour fragiliser les exploitations de pétrole de schiste américain. De fait, certaines sociétés aux États-Unis font faillite, ce qui peut permettre à l’Arabie saoudite de garder son rôle leader dans la production, donc continuer de fixer les prix mondiaux. Et lui conserver ce rôle stratégique que le pacte Roosevelt-Ibn Séoud du croiseur USS Quincy, scellé en 1945, avait fructueusement établi.

Mais les sites d’extraction du pétrole en Arabie saoudite sont mal répartis : très peu autour de la capitale Riyad, la majorité sur la façade du golfe arabo-persique… qui fait face à l’Iran chiite (à 200 km à vol de bombardier) – et dans la province même où les chiites saoudiens (10 à 15% de la population du royaume) sont le plus présents ! Le port de Jubail y exporte le pétrole du gigantesque gisement de Ghawar et les produits de la raffinerie géante de Ras Tanura. La construction d’un oléoduc d’est en ouest permettrait de compenser un peu ce risque iranien en permettant d’établir des aires de stockage du pétrole et raffineries dans des lieux moins exposés, à l’ouest du royaume.

Chites et sunnites autour du Golfe

Faiblesse de la société

La société saoudienne apparaît peu armée pour faire face aux défis du XXIe siècle. Une population d’environ 28 millions de Saoudiens, dont 70% de natifs riches, est entourée de centaines de millions d’Arabes pauvres (en Égypte, Palestine, Irak, Iran, Yémen, Soudan) – ce qui ne va pas sans jalousie. L’idéologie religieuse rigoriste offre de bons arguments pour renverser cet ordre des choses. L’ennemi héréditaire iranien oppose en outre Arabes et Persans, l’Iran étant doté de 82 millions d’habitants (allié à la Syrie de Bachar et au Hezbollah, eux aussi chiites). La querelle géopolitique est – là aussi – justifiée par les idéologies respectives du sunnisme et du chiisme. Dieu est toujours un prétexte aux intérêts bien matériels et au prurit identitaire…

La place réduite des femmes (contrairement au chiisme) handicape l’Arabie saoudite, empêchant la moitié de la population de se montrer utile à la société autrement qu’en faisant des enfants – 2.2 enfants par femme – (gamins vite confiés aux bonnes à tout faire philippines, népalaises ou indiennes, véritables esclaves modernes peu ou non payées et vivant quasi recluses – leur passeport confisqué).

Le royaume n’est autosuffisant en rien, sauf pétrole et céréales, et consomme la majorité de son eau douce via une nappe fossile non renouvelable. Il doit presque tout importer et la transition énergétique menace clairement sa richesse relative dans les décennies à venir. Le niveau de vie des Saoudiens n’a cessé de baisser depuis l’acmé des prix du pétrole au début des années 1980 et le niveau du chômage est élevé (21% pour les mâles, 55% pour les femmes) dans un pays où la moitié de la population a moins de 25 ans. Les 5000 princes accaparent la majeure partie de la rente, bien qu’une redistribution paternaliste assure à tout sujet du royaume un revenu minimum. Les tensions sociales internes pourraient éclater si la rente pétrolière s’effondrait, faute d’alternative à offrir.

D’où les inquiétudes de Riyad lors du « printemps arabe ». La monarchie saoudienne a assisté avec amertume au lâchage américain du président égyptien Moubarak, pourtant fidèle allié des États-Unis. Elle a mal vécu l’aboutissement des négociations avec l’Iran sur le nucléaire, qui prélude à un rapprochement stratégique régional contre Daech. Ce pourquoi elle a renforcé sa fourniture de pétrole à la Chine, a ostensiblement acheté des avions Rafale à la France et financé le rachat par l’Égypte des deux navires de classe Mistral non livrés aux Russes. Craignant le terrorisme à ses frontières, elle est intervenue sans les Américains contre le Yémen anarchique à ses portes, où le terrorisme prolifère.

L’Arabie saoudite va-t-elle devenir un Vatican réduit au seul pouvoir spirituel ? Pas tant que la rente pétrolière assure la puissance de l’argent – mais rien n’est éternel. D’ici là, le moralisme islamiste risque fort de faire un sort à la monarchie saoudienne, menacée de toutes parts…


Chevaucher les vagues à Tahiti

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La course Faatii-Moorea 2015, ce fut l’enfer ! Course des fêtes de juillet, cette année s’avère historique par les conditions cataclysmiques rencontrées. L’océan était déchaîné et cela a brouillé les cartes. Cette course de va’a 6 est longue de 92 km et un changement de seulement 6 rameurs est autorisé. Cette année, il y avait 41 pirogues au départ, seules 22 d’entre elles sont arrivées à bon port, 19 ont abandonné. Alors que tout avait bien commencé lors de la traversée du chenal entre Tahiti et Moorea, le contournement de Moorea en passant devant la baie d’Oponohu, le motu Tiahura (en face de l’ancien Club Med) s’est déroulé normalement. C’est au niveau de Haapiti que la situation climatique a empiré. Tous les bateaux suiveurs, officiels, médias et bien sûr les pirogues, se sont retrouvés dans un océan en furie. Tous n’ont pu progresser que difficilement, avec un fort vent de face, des rafales à 90 km/h, le tout avec une houle de 3 à 4 m avec des creux impressionnants… C’est la pirogue EDT qui triomphera en 7h50 de course. Une épreuve qui restera dans les mémoires !

Les championnats du monde 2018 de pirogues dites va’a se dérouleront à Pirae, dont le Président du pays est aussi le tavana (maire). Bien sûr il y aura des problèmes à résoudre afin que les visiteurs soient accueillis dans les meilleures conditions – à commencer par la mauvaise qualité des eaux de baignade ! A l’hôpital du Taone situé sur la commune de Pirae, la salle Aorai Tini Hau où se tiennent actuellement certaines expositions est à reconstruire, les stations d’épuration sont à mettre aux normes… en attendant d’accueillir les 2 000 visiteurs espérés, d’engranger les 400 à 500 millions de XPF de retombées économiques. Sœur Anne ne vois-tu rien venir ? Non, mais j’attends 2018, j’suis pas pressée !

surf tahiti grosse vague

Pour la vague de Teahupoo, c’est parti, les trials sont finis maintenant – place à la Billabong Pro Tahiti, 7e étape du championnat du monde. Les vagues sont moyennes, pas de beaux tubes. Il y a la pluie, le vent, mais pas ces magnifiques tubes…

Échec complet ! Ce sont 3,04 milliards de XPF qu’ont dû apporter par différents moyens le pays à Tahiti Nui Rava’ai et la SAS Avai’a. Le rapport de la Chambre territoriale des comptes est sans appel : ECHEC. Les raisons de cet échec ? Une inadéquation entre les bateaux proposés et les demandes des armateurs. Aucune étude préalable conduite auprès de ces derniers avant de commander ces bateaux de pêche…

Les armateurs étaient demandeurs de thoniers conçus pour la pêche fraîche et non de thoniers conçus pour des campagnes plus longues de pêche congelée. Totale contradiction avec les besoins et les souhaits des professionnels de la pêche alors qu’il s’agissait d’aider au développement d’une flottille privée. Entre 2001 et 2004, 43 bateaux ont été commandés, doublant les capacités de pêche ! Des malfaçons en pagaille se révèlent sur les bateaux construits dans les chantiers navals chinois – cela donne des frais de réparation d’environ 3 millions de XPF par thonier. La CTC constate que 17 thoniers sont inexploités, soit la totalité des thoniers-congélateurs construits en Corée ou en Chine. Que deviennent ces tas de rouille dans le port ?

Aranui 5

D’ici la fin de l’année, l’Aranui 5 sera dans nos eaux. Toujours cargo mixte mais quelle allure, du luxe, du luxe ! Un tirant d’eau plus faible (5,20 m) qui lui permettra d’entrer dans les ports des Iles Marquises à n’importe quelle heure ; soumis à la réglementation « Safe return to port ». Toujours équipé de 2 grues pour le chargement et déchargement, il pourra livrer jusqu’à 700 m3 de gasoil. Il contiendra 166 EVP (conteneurs de 20 pieds) et aura 40 prises pour les conteneurs réfrigérés. Ce numéro 5 est construit en Chine, les moteurs sont allemands de la marque MAK, le tout pour un coût de 4,2 milliards de XPF.

Évidemment, au prix demandé, le voyage sur l’Aranui est celui d’une vie. Ce nouvel Aranui aura 60% de cabines de « gamme supérieure » avec un balcon. Le nombre de croisiéristes passera de 190 à 270. Les prestataires locaux devront obligatoirement fournir des prestations pour 80 touristes supplémentaires. Actuellement, il y a 68 membres d’équipage tout confondus, il devrait y en avoir une centaine sur le nouveau cargo. La croisière dure deux semaines et, depuis cette année, le bateau s’arrête à Bora Bora au retour. Les barges de débarquement des passagers seront remplacées par 2 catamarans couverts de 70 places.

Avez-vous déjà réservé votre prochain cabotage sur l’Aranui 5 ? Dépêchez-vous il n’y en aura pas pour tous !

Hiata de Tahiti


Mark Twain, La vie sur le Mississippi

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mark twain la vie sur le mississippi
Samuel Clemens, alias Mark Twain, est né dans le bassin du Mississippi et y a passé toute son enfance et son adolescence, jusqu’à la guerre de Sécession qui le fait partir un temps en Californie. Il aime ce fleuve immense qui ne cesse de changer, rongeant les rives, comblant ses boucles, charriant des « chicots », ces troncs arrachés aux berges, ajoutant des bancs de sable ici ou là suivant les saisons. Il a bu son eau chargée de particules, il s’est baigné nu dans ses courants parfois violents, il a joué dans la boue des rives avec ses copains en bande, il a voulu devenir pilote de vapeur, ces bateaux à roue majestueux qui remontent et descendent sans cesse le Mississippi.

Enfant du Sud ? Avant tout enfant du fleuve, ce qui est bien différent. Le fleuve bouge, pas la plantation ; l’eau change le riverain toujours, jamais le colon en sa mentalité. L’auteur en incrimine le « romantisme » instillé par les romans de Walter Scott, qui font renaître la mentalité médiévale « du rang et de la caste » (en oubliant la prégnance de la mentalité aristocratique française dans cette partie des États-Unis). Mark Twain voit l’esclavage comme un fait mais n’approuve pas pour autant. Si les nègres sont bêtes et superstitieux, c’est qu’ils ne sont pas éduqués. Il montrera combien un Noir peut être un être humain admirable dès qu’il est libre dans Aventures d’Huckleberry Finn.

garcons nus au bain mississippi

Revenu par nostalgie sur le bassin du grand fleuve (et pour écrire des articles qui le font vivre), il compose un hymne au Mississippi depuis sa puissance et son histoire, ses légendes, jusqu’aux anecdotes innombrables des pilotes, des flotteurs de bois et des filous qui peuplent le chenal et les rives et aux amers souvenirs de la guerre civile Nord contre Sud. Durant ses 2000 milles de Nouvelle-Orléans à Minneapolis (extrême navigable à l’époque), il raconte les villes qui se développent autour de cette voie naturelle de commerce et d’échanges.

Le plus captivant pour le lecteur d’aujourd’hui, est moins la description des villes en plein essor de la seconde partie que l’apprentissage de pilote aux anecdotes savoureuses de la première partie. A 22 ans, le jeune Samuel entreprend de devenir un seigneur du fleuve, ce pilote seul maître à bord après Dieu – quand le bateau avance. Son initiation durera deux ans, il sera dressé par Horace Brixby, aussi malin qu’inflexible. L’aspirant pilote doit surtout se mettre dans la tête toutes les nuances des eaux (et ce qu’elles signifient), tous les méandres du fleuve (en montant et en descendant), de nuit comme de jour, sur plusieurs centaines de milles de la navigation – tout en révisant semaine après semaine les modifications que le Père des eaux ne cesse d’apporter à son cours impétueux !

vapeur sur le mississippi

Il est breveté en avril 1859, et poursuit la geste du fleuve non sans cet humour américain si particulier qui est un bonheur de réflexion sur l’absurdité humaine.

Le gros bon sens : « Cela ne me gênait pas, parce qu’il est toujours intéressant d’entendre des hommes qui ont fait la guerre, tandis qu’un poète qui discourt sur la lune sans jamais y avoir mis les pieds a toutes les chances d’être assommant » XLV.

Le faux droit d’une « raison » qui n’est que moralisme conformiste : « Burlington (…) est aussi une ville abstinente… pour l’instant, car une loi sévère sur la prohibition de l’alcool est en préparation, une loi visant à interdire dans l’État d’Iowa la production l’exportation, l’importation, l’achat, la vente, l’emprunt, le prêt, le vol, la consommation, l’aspiration ou la possession, par conquête, héritage, invention, hasard ou tout autre moyen, de toutes les boissons nocives connues de l’espèce humaine, à l’exception de l’eau. Cette mesure a été approuvée par tous les esprits raisonnables de l’État, mais non par le tribunal » LVII.

Quelques chapitres sur son enfance, lors d’une escale à Hannibal, permettent au lecteur des Aventures de Tom Sawyer de mesurer combien la fiction a été nourrie du cœur charnel de l’existence au bord du fleuve, et combien la réalité a été embellie aussi.

Car tout change – et ne subsistent que les souvenirs reconstruits. Née vers 1812, la batellerie à vapeur sur le Mississippi a connu son apogée 30 ans après, avant de quasiment disparaître à cause de la guerre et de l’essor du chemin de fer, les 30 années qui ont encore suivi.

Mark Twain, La vie sur le Mississippi, 1883, tome 1, Petite bibliothèque Payot voyageurs, 230 pages, €17.00 tome 2 €10.00
Mark Twain, La vie sur le Mississippi, 1883, avec 316 illustrations d’époque, in Œuvres, traduction nouvelle Philippe Jaworski, Gallimard Pléiade 2015, 1581 pages, €65.00

Les œuvres de Mark Twain chroniquées sur ce blog


Ce Népal qu’il faut connaître

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Le Népal a connu cette année 2015 une série de tremblements de terre historiques, rares, dont la violence ne s’était pas manifestée depuis 1934. Le 25 avril 2015 est resté en profondeur mais le 26 et les jours suivants, près de cinquante répliques ont eu lieu. La saison touristique 2015 est morte, les touristes et trekkeurs, effrayés, ne reviendront pas avant d’avoir oublié. C’est dommage, car ce pays est très beau et mérite d’être visité.

panorama himalaya nepal

Je suis allé quelques six ou sept fois au Népal, depuis trente ans. La première fois était il y a 27 ans, fin 1988 – Elle, ma compagne d’alors, insistait pour y aller. « Elle » est l’abréviation commode du prénom qui commence par Hel ou El comme vous voulez. C’était la première fois que j’abordais l’Asie. Je n’étais pas contre le Népal, mais ce n’était pas le premier pays que j’aurais choisi. Et quitte à aller à cet endroit, autant marcher « utile » en abordant les contreforts des Annapurnas ! Mais non, Elle craignait l’altitude, la fatigue ; elle préférait la vallée de Katmandou. Un nouveau circuit de randonnée venait de naître, tout juste annoncé dans le catalogue Terre d’Aventures que seuls, en cette fin d’année, les Parisiens avaient reçu. Ce circuit existe toujours, même s’il ne part pas cette année ; il a été amélioré et reste une bonne approche du Népal.

Et nous voilà partis.

gamins nepalais

Les photos que je vous présenterai sont désormais uniques, la plupart des temples et des bâtiments aux bois sculptés ont été détruits ; ils sont en cours de reconstruction, mais ne seront comme neufs que dans quelques années. Le numérique n’existait pas encore. La dégradation de l’argentique, malgré la bonne conservation à l’abri de la lumière, est patente. Le scan et la rebalance des couleurs et du contraste avec un logiciel ne permet pas de revenir aux tons initiaux. Mais c’est déjà mieux que rien. Revoyager, au travers du carnet et des diapositives, permet de se replonger dans un Népal d’hier, celui d’il y a trente ans seulement – presque deux générations pour le pays…

temple sakhu nepal

Auto, puis RER, puis avion. L’envol sur Lufthansa est pour Francfort, dans un Roissy désert. Personne ne vole en ce jour de Noël. Nous sommes le samedi 24 décembre et les familles ne songent qu’à la dinde et au caviar, ou aux jouets des enfants. Pas nous : des enfants, nous n’en avons pas encore, nous nous contentons d’aimer ceux des autres et la fête de Noël n’est pas accueillante aux « pièces rapportées ». Quant à la dinde…

À Francfort, l’aéroport est un labyrinthe où le personnel se déplace en petit vélo. Nous transitons quatre heures durant. Rien à voir, la ville est fermée, loin de là, la nuit tombe encore plus tôt qu’à Paris. Je me contente de parler un peu et de lire beaucoup. J’ai emporté Parias de Pascal Bruckner, un livre sur l’Inde loin des niaiseries empire comme des rêves baba cool. Décapant, et que je relirai. Elle tente de lire un ouvrage sur les sherpas du Népal. C’est bien sérieux pour accrocher une attention qui divague. Elle n’a lu que 92 pages seulement en neuf heures, je crois ! Parias est si passionnant que, malgré son épais nombre de pages, je le finirai avant de reprendre l’avion.

nepal nomobuddha

Pour Katmandou, l’arnaque est à l’heure. C’est ce que j’avais compris quand on me l’annonça. Il s’agit en fait de la RNAC, Royal Népal Air Company ! L’avion contient deux enfants seulement, accompagnés de leurs parents, deux gras Allemands tout blond avec des boucles à l’oreille gauche. Bizarre pour des enfants… mais ils précèdent la mode qui vient. Noël survient quelque part au-dessus de la terre. Elle et moi échangeons de petits cadeaux utiles : un livre, une mini-lampe torche. Pas de champagne, ni de caviar.

Six heures quinze de vol à l’époque, de Francfort à Dubaï, dans les Émirats Arabes Unis. Nous arrivons alors que le soleil se lève. Les terminaux pétroliers paraissent de véritables cathédrales de lumières dans la nuit. La ville que nous survolons est vaste, aux artères rectilignes ponctuées de réverbères. L’aéroport est immense – et vide. Nous traversons en flânant le plus grand duty-free du monde. Rien n’est cher – même l’alcool. Nous sommes pourtant en plein pays musulman, juste en face de La Mecque. Mais l’argent n’a pas de religion, même en pays intégriste.

kathmandou Tintin au Tibet 1960

Il nous reste quatre heures quinze de vol jusqu’à Katmandou dans le petit Boeing 757 dans lequel nous remontons pour nous sustenter une fois de plus. Trois repas déjà depuis le départ. Vertu du décalage horaire : il est toujours midi quelque part.


Flamboyant automne à Paris

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L’automne flamboie à Paris en ce moment.

palais du luxembourg automne paris

Les arbres s’effritent en rideau orangé.

rideau de feuilles paris luxembourg automne

Les feuilles font comme une neige dorée sur le sol.

neige doree paris luxembourg automne

Les kids jouent avec joie dans cet or odorant.

gamin paris luxembourg automne

Le temps est bon, il fait presque chaud, en tout cas les cols s’ouvrent largement.

chaleur automne gamin paris luxembourg

Les adultes lisent au soleil.

automne paris luxembourg

La lumière d’or se filtre par les feuilles.

feuilles paris luxembourg automne

Les arbres en sont tout colorés, jetant leurs derniers feux.

feuilles de marronnier paris automne

Jouer tant qu’il en est encore temps.

kid paris luxembourg automne

Se reposer dehors, à deux sur les bancs.

paris jardin du luxembourg automne

 


Première vision de Katmandou

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À l’atterrissage il n’est qu’aux environs de quatorze heures, heure locale. Mais il commence à pleuvoir. La pluie ne nous lâchera pas de sitôt. Dans l’aéroport de Katmandou, ce qui me frappe en premier lieu c’est l’odeur. Un mélange léger de graisse corporelle, d’épices, de fumée de cigarette. L’odeur du pays. Les gens ont cette même odeur sur eux. Quant aux couleurs, auxquelles je m’attendais après la lecture du livre de la routarde Muriel Cerf, elles sont noyées par la pluie. Le tapis roulant des bagages ne fonctionne pas, mais les douaniers fouillent tous les sacs – des fois que nous importions de la drogue, on n’est jamais trop prudents ! Tout se passe lentement, mais de manière bon enfant : c’est l’Asie. À la sortie, des gamins assez grands se précipitent pour porter les bagages des voyageurs et gagner ainsi quelques sous auprès des touristes ignorants des prix locaux et démunis encore de roupies. Les pièces étrangères se négocient dans la ville, auprès de ceux qui voyageront et, malgré la décote, leur pouvoir d’achat est si fort qu’elles demeurent un fructueux pourboire. Nous ne savons rien encore de tout cela.

katmandou nepal 1988

L’accueil de notre agence est effectué par Tara, l’épouse népalaise de l’un des fondateurs de Terre d’Aventures. C’est une belle femme au teint mat, pas très grande mais aux yeux vif et brillants et à l’opulente chevelure noire. Elle parle français. Ses boys nous passent au cou un collier de fleurs jaune safran et odorantes, des œillets d’inde, parsemés d’hibiscus rouge vermillon.

tara nepal katmandou

Depuis le bus qui nous conduit à l’hôtel, nous avons un bref aperçu de la ville de Katmandou, 20 ans après 1968. Les rues sont à peine pavées, couvertes de boue. Les maisons sont bâties de terre liée de bouse sur des armatures en bois. Les plus belles sont de briques. Les plus anciennes ont un balcon traditionnel en bois de teck ouvragé et des fenêtres aux jalousies sculptées si finement que le bois en devient de la dentelle. Je suis déçu par les couleurs : tout paraît vert et ocre, comme camouflé, même les gens. Est-ce la saison qui veut cela ? Il me semblait avoir lu chez Muriel que les couleurs « explosaient » dans cette ville. L’auteur avait-elle trop fumé ? Il paraît que l’on voit alors les éléphants roses et le monde fluo… Nous verrons le soir quelques petites filles en rouge vif, un vermillon qui irradie, et les statues de temples peintes en jaune citron, vert pelouse et bleu mer, mais l’impression générale est au terne.

On nous conduit à l’hôtel Vajra, un bâtiment original en briques aux superbes décors de bois en style ancien. La porte d’entrée en teck noir, sculptée sur toute sa surface, s’ouvre comme celle d’un temple. Les balcons sont ouvragés. La chambre est confortable, construite dans une annexe de même style. La douche est chaude mais il n’y a pas de chauffage. L’humidité et l’inertie physique du voyage nous rendent frileux.

Katmandou plan

Comme le jour descend déjà, vers seize heures, nous allons faire un tour en ville. Elle fait tiers-monde avec ses chiens pelés, ses gamins terreux et dépenaillés, ses poules qui picorent jusque dans les maisons, ses échoppes ouvertes sur la rue où les artisans font travailler des apprentis tout jeune. Peu de voitures sillonnent les rues, mais des motos et des rickshaws. Le tut-tut ou l’appel sont de rigueur pour passer entre les piétons qui grouillent sans se préoccuper de la circulation. Nous déambulons dans les ruelles boueuses de cet hiver pluvieux. Le centre-ville a pour moi un aspect médiéval par son accumulation d’échoppes et d’animaux, son marché en plein air où les paysans venus de la campagne proche vendent leurs légumes pour quelques sous, ses gosses omniprésent affairés à de petits métiers, les mœurs crues, les attitudes populaires. On regarde l’étranger, on l’aborde pour lui vendre des babioles, mais rien de collant comme en Afrique du nord. Ici, les gens sont gentils et rieurs. L’Asie toujours. Innombrables sourires, regards un peu réservés, petites filles au maintien sérieux, drapées dans ce sari indien qui les empreint comme une toge, jeunes garçons plus délurés, certains heureux de se faire remarquer. Et puis, au détour d’une rue étroite aux maisons ornées de balcons de bois, surgit une place, un temple. Il est ouvert, public, offre les sculptures de ses dieux et de ses déesses aux offrandes. On prie en faisant le tour à l’extérieur : rien à voir avec la foi intime de nos cathédrales aux chapelles comme des grottes. Ici, tout (mais oui, tout) se passe en plein air, sous les yeux des autres et du ciel – sauf l’amour.

gamin depenaille nepal

Autre quartier, autre univers. Près du palais du Gouvernement, la ville est plus occidentale, les avenues plus larges. Là s’étalent les grands hôtels et les agences de trek. Quelques antiquaires appâtent le touriste fortuné avec des bronzes chantournés du pays dans leur vitrine. Près du pont, nous retrouvons un quartier plus populaire où une « rue Mouffetard » locale propose ses boutiques de souvenirs emplies de babioles et cartes postales, et des restaurants.

katmandou et bagmati nepal

Sur les conseils de Tara, nous échouons au « Tibet’s Kitchen ». Dominique (qui en fait s’appelle Jean-Louis) est déjà venu deux fois à Katmandou et nous conduit par les ruelles étranges et sombres. Les serveurs sont jeunes, gais et beaux. Les aide-cuisiniers, plutôt sales, sont des enfants d’une douzaine d’années. La clientèle est uniquement étrangère, une famille anglaise avec deux jeunes enfants, des filles allemandes affublées de drapeaux tibétains pour protester contre la Chine occupante. Nous goûtons la soupe « genre minestrone » indiquée sur le menu, des légumes, des pâtes et des tomates, avec une cuillerée de lait fermenté. Cela paraît délicieux à nos palais affamés de curiosité exotique. Puis arrive une assiette de légumes où trône un œuf cassé. Certains osent les « momos », ces raviolis tibétains fourrés d’une farce végétale. Pour finir, l’apple-pie, une recette normande implantée en Angleterre par Guillaume, puis en Amérique par l’émigration française, introduite ici par les routards américains des années soixante qui avaient la nostalgie des bonnes pâtisseries de « Mum » ! Du thé pour tout le monde, très brun, au goût chaud et fort comme le thé russe. Il vient des Indes et est grossièrement haché. Dominique, interrogé, nous parle un peu du bouddhisme tibétain ; il s’y intéresse comme s’il avait rêvé d’être moine dans la solitude parisienne de ses 45 ans. Ingénieur et célibataire, il vit « bio » et porte le physique austère d’un grand inquisiteur. Il est peu liant, un peu chiant, surtout très seul.

Il pleut très fort au sortir du restaurant. Nos yeux se ferment malgré nous par le double effet du décalage horaire et de la courte nuit dans l’avion. Nous prenons donc un taxi pour rentrer à l’hôtel. Le chauffeur est flanqué d’un accompagnateur – pourquoi ? Pour les dix que nous sommes, il doit faire trois voyages. Dans Katmandou à peine éclairé, sous la pluie battante, des piétons marchent encore malgré l’heure tardive. Des gamins en chemise ouverte et pieds nus vont à leurs affaires comme si l’eau était chaude sur la peau. Pour nous, la douche et le duvet nous réchaufferont. Nous sombrons dans un sommeil trop longtemps attendu.



René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde

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rene girard des choses cachees depuis la fondation du monde
René Girard est mort à 91 ans. Grand, impérieux, magnétique, il a marqué son époque. C’est le jour de Pâques, 1987 ans après la naissance supposée du supposé Christ, que j’ai lu cet ouvrage. Il ouvre un horizon nouveau au christianisme. Il expose en effet une anthropologie fondamentale où… il découvre que la religion chrétienne apporte la réponse nécessaire. Toute la théorie mimétique, inventée par René Girard, serait contenue dans les Évangiles.

Pour René Girard, et c’est un fait d’expérience, l’homme est un être d’apprentissage ; mais il est aussi, et conjointement, un être social. Son désir a besoin du désir des autres pour exister. Sans concurrence, pas de désir précis, seulement des désirs vagues, informulées. L’émulation permet de désirer ce que les autres désirent. Ce mimétisme du désir est volonté de se fondre dans l’autre, son double pour s’emparer de ce qu’il veut.

Telle est, selon l’auteur, la source de la violence entre les hommes.

La fonction des interdits sociaux est de « prohiber le mimétisme » en mettant un tabou sur certains objets et certains êtres les plus proches car appartenant au groupe de cohabitation, enjeux les plus évidents de relations rivales. Le rôle des rituels religieux est justement de désamorcer la violence en la mimant. Le meurtre d’une victime émissaire change l’opposition de chacun contre chacun en opposition de tous contre un seul.

Ce « sacrifice » fonde les règles sociales et établit la culture. Le transfert d’agressivité sur la victime rend celle-ci « sacrée », et la paix que ce meurtre apporte par catharsis fait l’objet d’un transfert de réconciliation sur la communauté.

Voilà qui est bel et bien dit malgré un freudisme un peu lourd qui demanderait à être nuancé. Mais une telle clarté est salutaire après les cafouillages folkloriques de nos manuels d’ethnologie.

Donc le sacré, c’est la violence. Celle qui vient de soi sans qu’on sache pourquoi, celle qui fait que l’on désire toujours ce que l’autre désire – parce que l’on est ainsi fait. Violence involontaire, irrationnelle, brutale. Ce que l’on ne comprend ni ne maîtrise, on l’appelle volontiers « Dieu ». L’esprit humain se reconnait dépassé et transcendé par une force qui lui paraît extérieure à lui-même et qui semble mener la communauté où elle veut. La religion, la philosophie, l’ethnologie, la psychologie ne seraient pas des tentatives pour comprendre mais des masques pour oublier la violence fondamentale. Celle qui est inconnaissable parce qu’effrayante autant que hors de toute maîtrise. Une sorte de vouloir être sauvage qui submerge toute rationalité.

lutte gamins izabela urbaniak

Pour René Girard, « Satan » est l’image incarnée des mécanismes circulaires de la violence qui emprisonne les hommes dans des systèmes culturels et philosophiques assurant un modus vivendi avec elle. « Le Christ », à l’inverse, révèle le meurtre fondateur à la base de toute religion et fait comprendre par la Crucifixion qu’il ne pourra plus désormais y avoir de victime expiatoire car sa persécution sera comprise, à son exemple, comme injuste. La communauté ne pourra plus se réconcilier sur le dos d’un bouc émissaire. C’est l’effacement du christianisme qui a engendré la Shoah – ou le génocide cambodgien.

Les Évangiles seraient donc une mutation de la pensée par rapport aux textes de l’Ancien testament et des autres religions. Ces Évangiles empêchent désormais – par leur révélation – le mécanisme fondateur de fonctionner. Contrairement à la lecture médiévale du christianisme, contre laquelle Nietzsche avait raison de s’élever, jamais dans les textes évangéliques retenus par l’Église, la mort de Jésus n’est définie comme « un sacrifice ». Aucun dieu ne l’a voulu, pas plus qu’il ne « veut » les maladies, les catastrophes ni la mort qui tous affectent les humains. La violence apocalyptique prédite par les textes n’est pas divine, mais est le fait des hommes – eux dont le conflit mimétique ne connaît pas de fin.

Les Évangiles seraient une explication du monde et de la place de l’homme. L’être humain est libre : ce qui lui arrive est de son seul fait, de par sa violence essentielle. Dieu – s’il existe, et cela est du domaine de la foi, pas du fait – est extérieur à tout cela. Le Christ, homme plus qu’humain mais avant tout homme, révèle les moyens de sortir de la crise mimétique. Son Royaume est celui où les humains, par un effort de raison et de volonté, auront su mettre un terme à la violence mimétique. En dehors de l’expulsion réconciliatrice, seul ce renoncement inconditionnel peut mettre fin aux rapports de vengeance. Du moins il faut y croire…

Selon René Girard, aucune autre possibilité ne subsiste, une fois les ressources sacrificielles épuisées par la révélation du Christ. C’est l’attitude d’Antigone qui refuse la version officielle du sacrifice de ses frères, que l’un aurait été juste et l’autre rebelle. Pour elle, les deux sont morts pour rien, dans une rivalité aussi absurde que l’hypocrisie politique de la cité. Antigone aurait dit la même chose que le Christ : « je ne suis pas venu pour partager la haine, mais l’amour ».

Notre univers contemporain illustre étrangement cette théorie. La paix nucléaire repose sur une appréciation froidement scientifique des conséquences fatales qu’auraient pour tous les adversaires l’utilisation massive des armes accumulées. Le renoncement à toute représaille est la seule condition de survie de l’humanité : ce que dit l’Évangile. D’autant que ce conflit impossible permet de libérer des forces pour la création et pour la vie. « L’amour », la paix, sont bien révélateurs, ils échappent à tout esprit de revanche. Tout ce qui fit de notre univers occidental, depuis 1945, le plus énergique et le plus créateur qui fut jamais en savoir scientifique, en technologie, en pensée et en art, est due à cette guerre impossible, à cette paix forcée, lentement conquise. Même si elle est relative – des guerres conventionnelles ne manquant pas d’éclater.

Aurions-nous enfin su dépasser le simple désir mimétique pour lui faire servir moins la guerre que l’émulation ? Ne serait-ce pas plutôt le fait qu’une seule puissance soit restée hégémonique jusqu’à la seconde guerre d’Irak, sous George W. Bush, qui a produit le désir de l’imiter elle seule, plutôt que de la défier ? La Chine qui émerge et la Russie nostalgique de son ex-puissance, le salafisme qui veut dominer les femmes et tous les incroyants, défient désormais, depuis la parution du livre, cet irénisme candide.

La paix, qui surpasse l’entendement humain, ne peut surgir qu’au-delà de la passion chicanière du jugement. Différencier le coupable et l’innocent, c’est perpétuer la violence – alors qu’il faudrait selon le Christ « pardonner », car tous sont coupables et tous sont innocents. Il n’empêche qu’en face d’un fanatique brandissant son couteau, tout cet échafaudage de bons sentiments et de pensées élevées s’effondre, se réduisant au dilemme simple : lui ou moi. Lorsqu’il s’agit de politique, la chose se conçoit, lorsqu’il s’agit d’humains déshumanisés par leur religion ou leur idéologie, le « pardon » ne tient pas. Il faut d’abord les maîtriser et de les empêcher de nuire avant – le temps qu’ils se reprennent – de leur donner une chance de réintégrer l’humanité.

Le bouc émissaire ne fait qu’assouvir la violence collective sur un faible qui ne peut se justifier. « L’amour » que le Christ demande aux hommes de pratiquer ne serait, selon René Girard, pas bêlant de faiblesse mais de force et de volonté. La paix doit se construire et elle demande de hautes vertus, plus sans doute que la guerre, qui n’est qu’un laisser-aller à ses instincts de violence.

Sauf que la guerre est parfois nécessaire, qu’il faut parfois être violent pour ne serait-ce que se faire entendre de ceux que leur croyance rend aveugles et sourds. C’est probablement toute la différence entre les époques, 1978 et 2015…

René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde, 1978, Livre de poche Biblio essais 1983, 640 pages, €7.60


Trek en vallée de Katmandou, premier jour

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Le premier jour d’un trek, le rangement des sacs est toujours une opération délicate. Il faut prévoir léger celui que l’on porte la journée, bien emballer le fragile du sac lourd que l’on confie aux porteurs. Ne connaissant ni le pays ni le climat, on ne sait trop quoi prendre ni quoi laisser pour le soir.

La pluie tombe toujours : la cape et le surpantalon sont bienvenus. Mais il fait bon à Katmandou, « il ne neige jamais » nous dit Tara : huit cents mètres plus haut et quelques heures plus tard, nous regrettons le pull supplémentaire jugé trop lourd, comme le bonnet et les gants, extravagants ! Oubli vital. La veste en tissu aluminisé, que j’ai achetée récemment pour son faible encombrement, trouve ici sa pleine justification.

nepal minibus embourbe

Nous commençons par un bus, puis nous allons à pieds, parce que le minicar japonais Hiace dérape sur la boue du chemin. Nous visitons le temple d’Icangu dans la brume et sous la pluie persistante. Les toits religieux dégoulinent, les arbres pleurent de toutes leurs branches et les enfants rieurs vont emmitouflés jusqu’au cou dans leurs hardes superposées. Nous croisons une petite fille sous une hutte portative, un grand plastique pris dans une armature d’osier tressé.

nepal fillette armature contre la pluie

Les grands arbres de la forêt se perdent dans la mousseline. N’était le froid humide, je verrais bien ici glisser quelques jeunes filles hamiltoniennes… mais elles seraient trop peu vêtues pour le climat.

nepal arbres

Après un village en terrasses, nous marchons dans la forêt parmi des eucalyptus, des rhododendrons et de hautes fougères. Nombres d’arbres me sont inconnus. C’est une belle forêt où rôdent – paraît-il – des « tigres » et des perroquets. Cette traduction approximative ne doit pas nous laisser penser que le fauve du Bengale de six mètres de long des moustaches à l’extrémité de la queue rôde par ici. Il s’agit plutôt de chats-léopards, de civettes ou de divers chats sauvages. Tara nous raconte que ces « tigres » sont protégés et que l’un d’eux, endormi dans un poulailler de Katmandou, repus de volailles bien grasses, a dû être réveillé à coups de fusil. Rassurez-vous : il n’a pas été transformé en passoire, mais chassé dans une cage et emmené au loin.

nepal terrasses vers kakani

Nous pique-niquons au temple très coloré de Jamacok, en hauteur. Assis dans le brouillard, la pluie et le froid, nous mangeons humide et froid. Nous reprenons le camion pour descendre car le temps n’incite pas à la marche. Le moteur grimpe les routes à flanc de vallée. Les champs sont cultivés en terrasses, minuscules, et ce patchwork décore joliment le paysage, le civilise. Nous avons l’impression de contempler de haut une maquette toute en courbes de niveaux. Poussent là le riz, la pomme de terre, l’orge, sur quelques mètres carrés à la fois. La subsistance d’une famille.

nepal stupa jamakok

Pluie, pluie, pluie toujours. Depuis l’hôtel Taragon, dans Kakani, Tara nous avait promis un superbe panorama sur les montagnes : rien à faire, la brume s’épaissit et l’eau du ciel se déverse encore et toujours. À cause de la pluie, l’électricité a été coupée dans le village tamang où les constructions traditionnelles sont en briques et tuiles. Mais la tradition se perd et l’on construit désormais en parpaings et ciment.

Nous prenons le thé, avant de nous installer dans les chambres humides. Comme l’eau noie le paysage et inonde la rue, nous jouons en société jusqu’au repas. Le temps de lier connaissance avec le groupe. Nous dînons de légumes tandoori, de curry de poulet, de riz dal (sauce aux lentilles). Le gamin de l’hôtel qui peut avoir six ans va pieds nus malgré le froid. Il ne porte d’ailleurs qu’un tee-shirt, un short, et un tablier qui lui laisse le cou très découvert. Il s’est juché sur les genoux de son père et rit sous ses caresses. La scène est tendre et gentille.

La nuit est glaciale. Pas d’électricité : pas de chauffage. Seule l’énergie interne nous réchauffe, ou la chaleur animale de l’autre. A la nuit, la pluie s’est arrêtée. Le vent s’est levé qui a chassé les nuages. Les étoiles brillent comme des clous dans le ciel. Je retrouve avec plaisir mon duvet cloisonné de thinsulate double à capuche, avec son drap de coton et son sur-duvet coupe-vent. Je rajoute la combinaison Damart et des chaussettes !

Nous sommes réveillés à six heures le lendemain matin parce que le jour se lève et que l’aurore sur les montagnes est magnifique. Une demi-heure plus tard l’œil se réjouit. C’est la fête sur les sommets. L’Himalaya rosit, immense, dressant ses dents pointues sur le ciel bleu soutenu. Les neiges éternelles, éclatantes de blancheur, accrochent quelques nuages. La lumière est transparente, épurée par le vent de la nuit. Ampleur de l’aube, aube du monde. La glace au loin, sur les pics, est aux yeux d’une acidité de cristal.


Conserver à Tahiti

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Le vent est fort et il n’annonce pas de très bonnes nouvelles. Chacun se prépare à affronter la période cyclonique qui d’après Météo France sera rude à cause du changement climatique, El Nino étant très puissant. Les quincailleries de ont été dévalisées : cordes, filins pour attacher les toitures, panneaux de bois pour protéger les vitres, bâches pour protéger les meubles à l’intérieur des fare (etc.) chez Carrefour (qui doit se frotter les mains), de bougies, de piles électriques… bombonnes de gaz aux stations. Tout doit être prêt avant l’arrivée du cyclone car à partir du déclenchement de l’alerte n° 1 par le Haussariat (Le Haut-Commissariat), il faudra être sur le qui-vive !

Le panie matete est en tahitien le panier marché. Matete vient du mot anglais market. Allons au marché faire des emplettes, et surtout n’oublions pas notre panier-marché ! Le panier de Madame Tout-le-monde est en fibres, vous pourrez l’acheter pour un prix de 1 000 à 1 800 XPF dans sa version locale. Il en existe d’autres plus finis, plus beaux, mais le simple panier marché est d’un usage quotidien. On y met les ustensiles de pêche, on le suspend pour préserver des rats ce qu’il contient, il peut contenir des objets tabous. On le trouve également dans le four tahitien, il sert de nasse aux pêcheurs. C’est un objet « de mode » ! A l’époque des trucks, il est sur les épaules des jeunes mamans ; à la fin des années 70, il devient le symbole des opposants aux essais nucléaires ; dans les années 80, l’artiste Bobby le remet à la mode en ne s’en séparant jamais, même à bicyclette ; dans les années 90, ce sont les lycéens qui y enfournent livres et cahiers ; puis plus rien, ou presque. Il tombe en désuétude. Des créateurs comme Isabelle Pahio Guardia de la marque Fenua Pop le remettent au goût du jour, le féminisent. Comme beaucoup d’objets, on l’oublie, on le retrouve, on le modifie. Mais au départ, il y a le pandanus.

panier tahiti

Réunis en Polynésie, les 8 États insulaires membres du PLG (Polynesian Leaders Group) se sont réunis les 15 et 16 juillet derniers pour préparer une déclaration commune à présenter lors du prochain COP 21, sur le thème des effets du réchauffement climatique dans les îles du Pacifique. Edouard Fritch, chef de l’exécutif local, a soumis à l’avis des autres membres le principe de la restauration d’une desserte aérienne intra-polynésienne pour établir des passerelles directes entre les diverses destinations régionales. L’idée est de ressusciter et développer une route desservie jusque dans les années 50 par la compagnie TEAL (Tasman Empire Airways Limited) qui est devenue Air New Zeland limited en 1965. Cette compagnie desservait alors en hydravion Auckland-Tahiti via les îles Fidji, Samoa et Cook. « Coral route » était son nom. Réalisable cette ligne pour tous les partenaires ou rêve pieux ? Let and see – and wait.

monarques oiseaux de tahiti

Manu (la Société d’ornithologie de Polynésie fondée en juillet 1990) va bien. Elle œuvre pour la protection des oiseaux sauvages de Tahiti et des îles, ainsi que pour la préservation de leur habitat. Déjà évoqué dans mes quelques lignes, le sauvetage du Monarque de Tahiti que l’on ne trouve plus que dans 2 vallées de Tahiti, Punaauia et Paea et du Monarque de Fatu Hiva (Iles Marquises). La société se compose de 150 bénévoles et quatre salariés. Le travail est immense. 38 espèces d’oiseaux sont protégées en Polynésie française : 5 espèces d’oiseaux marins menacées, 1 espèce d’oiseau migrateur menacée, 28 oiseaux terrestres endémiques dont 20 espèces sont menacées selon la classification UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) et 8 autres espèces terrestres endémiques de P.F. qui présentent une valeur patrimoniale indiscutable, même si elles ne sont pas directement menacées.

Hiata de Tahiti


Mark Twain, Aventures de Huckleberry Finn

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mark twain aventures de huckleberry finn gf

Huck est le copain sauvage de Tom Sawyer ; vagabond intégré (si l’on ose cet oxymore), il entre dans la bande de bandits que l’imagination de Tom crée au village. Mais si Tom est civilisé, fantasque mais bourgeois, farceur mais moral, Huckleberry reste un naturel du pays, étouffant dans les vêtements, aimant dormir dans les bois, pêcher le poisson-chat, faire griller du lard sur un feu de camp. Son adoption par la veuve Douglas l’a enfermé, rhabillé et contraint. S’il aime l’école parce qu’il est curieux de tout, il a un besoin physique de courir les bois, si possible la chemise ouverte et les pieds nus. « Les vêtements et moi, on s’apprécie pas trop », avoue-t-il au chapitre XIX.

Il fugue, puis est rattrapé par son père, un ivrogne incapable qui l’a laissé choir de puis plus année et qui ne revient qu’avec une idée fixe : s’emparer du magot gagné par le fiston, que le juge Thatcher gère pour lui. Huck fait mine de se soumettre. Élevé à la dure, le gamin accepte les taloches et les gnons que son jeune corps vigoureux sait encaisser, mais il tient à la vie. Il a une peur bleue de ces crises de delirium tremens qui saisissent son paternel dès qu’il a lampé quelques dollars de gnôle. Lorsque l’adulte le poursuit en hurlant dans la cabane de rondins, brandissant un couteau de boucher, c’en est trop et le gamin s’enfuit, tout en mettant en scène ingénieusement son propre meurtre à l’aide du sang d’un cochon et d’un gros sac de cailloux traîné jusqu’à la berge.

Il observera avec délectation le vapeur tourner dans l’eau en tirant des coups de canons destinés à faire remonter son corps noyé à la surface – en vain. C’est dans cette île déserte Jackson, où il établi son camp de robinson, dans le souvenir des jeux avec Tom et sa bande, qu’il a rencontré Jim, esclave de Miss Watson, la sœur de la veuve Douglas, qui compte le vendre pour une bonne somme.

huck finn elijah wood parmi les bourgeoises

Huck aime Jim, aussi sauvage que lui au fond malgré les apparences, car il aime autant que lui la liberté de penser et de se mouvoir. Jim est presque sans instruction, tout envoûté par les superstitions des Noirs, mais il n’est pas sans bon sens. Toucher une peau de serpent fait-il venir les ennuis ? Huck n’y croit qu’après que les ennuis soient venus, pragmatique.

Les aventures vont dès lors s’égrener avec, pour décor, le Père des eaux, ce grand fleuve Mississippi qui est tout un continent pour l’auteur. Femmes naïves de village, paysans rusés, mauvais garçons et escrocs, chasseurs de nègres et rudes bateliers, le garçon et son compagnon noir vont faire la route, celle qui initie à la vie par la liberté. Non sans peurs, sueurs froides, humour : « Il n’y avait personne au temple, sauf un porc ou deux car la porte n’avait pas de verrou et les porcs ils adorent les sols en grosses planches en été à cause de leur fraîcheur. La plupart des gens, si vous avez remarqué, ils vont au temple seulement quand ils sont obligés, mais les porcs c’est différent » XVIII.

huckleberry finn et jim sur le radeau

Non sans expériences sensuelles non plus. Huck est âgé de 14 ans selon les Carnets de l’auteur, il a la sensualité brute de cet âge : sur le fleuve, « on était toujours nus, le jour et la nuit, si les moustiques nous embêtaient pas » XIX, notamment nus sous l’orage, la peau en ravissement sous les trombes d’eau tiède, chapitre XX. Pressé par Jim de se renseigner pour savoir si le radeau a passé ou non Cairo, la ville cruciale pour atteindre les États abolitionnistes, Huck ôte tous ses vêtements et va nager jusqu’à un train de bois pour écouter les flotteurs parler de la navigation. Mais il sera découvert, un matelot « a posé sa main sur ma peau chaude, tendre et nue », raconte Huck avec délices (XVI). A poil, il est traîné devant les hommes qui le reluquent, l’interrogent et le menacent du fouet. Il s’en tirera avec sa langue bien pendue et pourra plonger pour rejoindre la berge. II l’a échappé belle mais a somme toute pris plaisir à cette aventure – sauf qu’il ne sait pas si Cairo est près ou loin.

huck finn elijah wood

Il perd Jim dans le brouillard, puis tombe à l’eau et se retrouve dans une famille sudiste où règne depuis 30 ans la pire des vendettas. Le père, les cousins, les fils, jusqu’au gamin de13 ans, sont tués à coups de fusil par l’autre famille, elle aussi amputée ; seule l’une des filles, amoureuse d’un garçon de l’autre bord, réussit à fuir l’absurdité humaine avec son promis. Huck retrouve Jim, recueille deux escrocs qui entubent les villageois crédules par des spectacles jugés si mauvais et une tentative de captation d’héritage – que le goudron et les plumes finiront par expulser les compères. « Il vaut mieux risquer la vérité, qui serait peut-être moins dangereuse qu’un mensonge », médite-t-il au chapitre XXVIII. Huck assiste aussi à l’imbécilité de foule, qui décide de lyncher un homme, « un vrai », qui a tué son insulteur chronique, mais que la lâcheté fait renoncer face à son attitude ferme.

Il découvre la vie, Huck, la bêtise humaine et l’absurdité sociale. Que reste-t-il de l’humanité ? Pas grand-chose : l’amour, l’amitié, l’honneur peut-être. Il a même pitié des crapules, par « conscience » – ce que l’auteur n’approuvait pas, peut-être censuré par sa femme à qui il faisait relire le manuscrit pour qu’il soit présentable à la vente.

Il aime le nègre Jim qui l’appelle son « poussin » ; lui qui n’a pas eu de père, il en fait une sorte de tuteur. Quand le bouffon « descendant des rois de France » pseudo « Lewis le dix-septième » vend Jim pour 40$, Huck découvre que, si sa conscience exige de rendre Jim à sa propriétaire, son cœur exige plutôt qu’il rende à l’esclave sa liberté (XXXI). Jim et lui ont vécu tant d’aventures et d’émotions ensemble que le jeune garçon refuse à « devenir meilleur » pour « devenir mauvais » selon la société, faisant le choix de la personne Jim plutôt que de « la morale » de la société. Le garçon devient lui-même en devenant adulte.

huck finn elijah wood et jim

D’où la fin incongrue, qui voit le retour de Tom Sawyer. Nous sommes au théâtre, Tom, probablement plus jeune d’un an, se fait auteur, réalisateur, interprète d’un beau rôle qui vise à faire évader le nègre Jim. Même s’il est déjà affranchi par sa maîtresse sur son lit de mort, Tom se garde bien de révéler ce détail, tout à son jeu. Nous ne pouvons nous empêcher de rire, notamment au chapitre XXXIX « les rats », même si le changement de registre est patent. Hemingway n’aimait pas cette chute, qu’il trouvait déplacée et grand guignol. Peut-être est-ce pour comparer la maturité toute neuve de Huck avec un Tom encore en enfance, futur écrivain et histrion dont le rôle est de légender le réel ? Peut-être est-ce la leçon sociale que Huck a acquise sur le fleuve, après avoir rencontré tant de spécimens humains irrationnels ? « J’ai gardé ça pour moi sans rien laisser paraître, c’est ce qu’il y a de mieux pour éviter les disputes et les embêtements » XIX. Ainsi laisse-t-il Tom monter son jeu, du moment que l’objectif rencontre le sien : libérer Jim de l’esclavage. « Je ne me soucie pas de la manière de faire, tant que c’est fait » XXXVI.

Tom est la face Mark Twain dont le côté pile est Samuel Clemens peut-être plus proche de Huck. Le gamin débraillé est en effet un « naturel » du Mississippi, il jouit en naturiste et parle nature. Il est le bon sauvage du mythe, l’idéal chrétien des pionniers américains. L’auteur a écrit le livre de 1876 à 1885 comme une aventure, sans savoir où il veut aller et dans une langue orale, familière, voire crue. Il aime manifestement ce fils littéraire, c’est ce qui fait son charme toujours neuf car Huck est enfant passant progressivement à l’âge adulte, brute acquérant une civilité, les émotions en devenir, l’intelligence qui s’ouvre.

Courage, sensibilité, âme pure du fleuve, Huckleberry Finn est le parfait garçon d’Amérique dont le nom est celui de l’airelle nord-américaine, vu par un auteur humoriste de la seconde moitié du XIXe siècle. Il est candide, donc neutre, capable de tout mais avec générosité, selon l’idée (passablement rousseauiste) qu’un cœur sain sait remettre sur le droit chemin une conscience déformée par la morale apprise de la société, trop souvent factice. Refus de la mentalité européenne de caste, refus du conformisme cul-bénit des vieilles filles, refus de toute autorité non légitime, l’adolescent Huck est un libertarien, le pionnier de la Frontière par essence. Il grandira, mais demeurera cet homme libre que l’enfance a révélé et béni.

Mark Twain, Aventures de Huckleberry Finn, 1885, édition intégrale Garnier-Flammarion 2014, 352 pages, €8.50
Mark Twain, Aventures de Huckleberry Finn, 1885, édition « jeunesse » (expurgée ?) Folio junior illustré par Nathaële Vogel, 2010, 392 pages, €8.20
Mark Twain, Aventures de Huckleberry Finn, 1885, avec illustrations d’époque, in Œuvres, traduction nouvelle Philippe Jaworski, Gallimard Pléiade 2015, 1581 pages, €65.00

DVD Les aventures de Huckleberry Finn, 2003, Stephen Sommers, avec Elijah Wood, Walt Disney France, €13.00
DVD Les aventures de Huckleberry Finn, de Peter Hunt avec Patrick Day, Rimini édition 2014, €11.78 ou Omnitem communication, €14.99
J’ai vu en 1968 la belle série TV Les Aventures de Tom Sawyer, de Wolfgang Liebeneiner, avec les gamins Roland Demongeot et Marc Di Napoli – mais elle est introuvable.

Les œuvres de Mark Twain chroniquées sur ce blog


En promenade au Népal

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Le petit-déjeuner se compose d’omelette et de toasts, arrosé de jus d’ananas. C’est très anglais – à la réflexion, plutôt américain. Le départ est très lent, à pied, parmi les terrasses. Une école agronomique dresse ses arbres fruitiers et ses serres. Puis le sentier suit la colline. L’Himalaya étale son panorama. Pendant la marche, j’échange quelques impressions avec Christine, chercheur au CNRS en anthropologie. Elle me parle de ses fouilles en Mauritanie et des australopithèques dont elle étudie les os.

trek au nepal

Nous pique-niquons sur le plateau d’Ahale Dara. Le soleil a consenti à se lever et chauffe vite l’atmosphère. Contraste des ombres sur les terrasses. Vert tendre de ce qui y pousse. Un garçon aux cheveux courts porte un vieux pull couleur de terre, à col en V, à même la peau. Sa maison est perchée sur une hauteur et domine la vallée. Il a toute l’année le spectacle des montagnes glacées au loin qui étincellent sous le ciel bleu. Des enfants qui habitent une terrasse plus bas viennent nous observer. Ils sont de petite taille. À l’un on donnerait deux ans – il en a six ; à l’autre six ans – il en a huit. Un treize ans va pieds et jambes nues. Les filles qui viennent peu après font plus leur âge, dix ans. Le jeu est de questionner Tara qui traduit et nous fournit les réponses des enfants. Nous leur donnons des raisins secs et des barres Granny.

gamins nepal

Nos sacs lourds sont portés à dos de sherpas. Certains font très jeunes mais, vu la confusion dans laquelle nous sommes sur les âges réels des enfants, le plus juvénile a au moins dix-huit ans. C’est un Gurung au squelette fin, aux traits presque chinois, qui porte le sac de Christine entre autres. Tous marchent en tongs ou en baskets et portent trois sacs polochon à la fois, retenus par une corde sur le front.

porteur nepal

L’étape du jour est courte. Nous campons à 2700 mètres d’altitude, face aux Himalaya, à flanc de colline. Le village en bas étale ses terrasses où des paysannes et leurs filles très jeunes coupent des herbes en robes très colorées. Elles n’ont pas l’habitude de voir ici des étrangers, nous dit Tara, et elles en sont très curieuses.

travail aux champs nepal

Dès le coucher du soleil, rose sur les dents himalayennes, il fait froid. Très froid même. Les népalais allument un feu, bien que le bois soit rare et qu’il soit interdit d’en couper pour éviter le déboisement. Celui que nous utilisons a été bien été coupé quelque part, mais notre « morale » est sauve car il a été acheté au village.

himalaya nepal akani

La conversation ce soir roule sur les histoires de fantômes. Tara en a vu un dans sa maison de Katmandou. Et elle connaît un sherpa qui a vu le yéti ! Tara est la femme népalaise de l’un des fondateurs de Terre d’Aventures. Apparentée à la famille royale, elle a 33 ans et un petit garçon de trois ans qu’elle a prénommé Raoul. Comme nous nous étonnons de ce prénom peu usité en occident, elle nous précise qu’il s’agit de l’unique prénom qui existe en français comme en népali ! Rahula était le prénom du fils du Bouddha Sakyamouni lui-même. Tara est vive et joyeuse, porte attention à chacun ; elle est toujours prête à nous satisfaire pour nous faire aimer son pays ; elle a toujours le sourire, même si elle reste sensible à nos humeurs. Un maître japonais ami de son père lui a enseigné un art martial. Elle nous raconte des légendes religieuses et des anecdotes personnelles dans un français approximatif et imagé. C’est tout à fait charmant, d’autant qu’elle zézaie, à notre grande joie quand elle s’exclame « c’est zénial ! » – ce qui est son expression favorite.

Nous commençons timidement à nous exprimer en népalais. Nous retenons quelques expressions comme « tato pani », l’eau chaude ; « didi », la grande sœur, terme par lequel on s’adresse aux filles ; « taï », grand frère pour les garçons ; khoum », la carapace en bambou contre la pluie, que nous avons observé hier sur le dos d’une fillette ; « doko », la hotte à porter des paysannes cueillant les herbes de ce soir ; « babou », le bébé très petit garçon comme hier soir.

nepal reveil sous la tente

Nous dormons sous la tente. C’est humide, mais chaud au bout de quelques instants de présence.

Au deuxième matin du monde, nous sommes réveillés par les népalais avec une tasse de thé. Un peu plus tard, arrive à la porte de la tente une bassine d’eau chaude pour chacun des deux occupants. C’est le grand luxe avant même le petit-déjeuner ! Le soleil brille superbement aujourd’hui. Il fait déjà chaud à neuf heures du matin. Le porridge anglais, préparé avec le thé du matin est farineux, gluant et tremblotant à souhait. Mais le goût anglais n’est pas le mien en ce domaine.

nepal himalaya

La marche débute à flanc de pente pendant un long moment. Puis nous grimpons de terrasse en terrasse. Il y pousse du blé, encore en herbe. En haut de cette succession de terrasses cultivées s’élève une maison où vivent deux familles : ce sont deux frères mariés, et dix enfants s’agglutinent autour de nous et nous sourient. Ils vont pieds et jambes nus, comme d’habitude. Ils ont les yeux noirs, le visage un peu mongol. Nous leur donnons des friandises. Tara nous apprend que le gouvernement va racheter leurs terres pour en reboiser les pentes. La famille a d’autres terres plus bas. Nous effectuons une pause photos. Les enfants sourient mais restent timides et réservés devant ces grands diables au long nez qui émettent des mots bizarres dans une langue inconnue.

La randonnée se poursuit dans la forêt, par une sente à peine tracée que la pluie des jours derniers à rendue glissante. La mousse pend des arbres en lianes. On se croirait dans la jungle des bandes dessinées. Odeur de fermentation, de pourriture parfois. Des essences inconnues en nos pays se dressent ici naturellement : des rhododendrons et de grands arbres aux larges feuilles brillantes qui servent d’assiettes aux indigènes.


Notre-Dame de Chartres

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Il faut la voir de loin, la cathédrale, élever ses deux flèches de 115 et 106 m au-dessus des blés comme un vaisseau de haute mer sur la plaine sans relief de la Beauce. La forêt des Carnutes, qui résistèrent aux Romains, n’est plus qu’un champ productif de céréales, sanctifiées à chaque messe comme « corps » sublimé du Christ, selon ses vœux.

chartres dans les bles

Édifiée sur un ancien puits gaulois creusé dans l’éperon rocheux qui domine la ville, la foudre l’a frappée souvent, doigt tonnant du dieu, croyait-on. Dès que la gallo-Rome devient chrétienne, pour faire comme les grands, le premier édifice est construit, vers 350. Il est détruit par les Vikings, ces mécréants réalistes, en 858. Ils remontaient l’Eure depuis la Seine sur leurs snekkars à fond plat.

Chartres cathedrale

En 1020 est montée la grande crypte, encore visible, puis après nombre d’incendies débute en 1194 la construction de l’actuel monument, en pierres des carrières de Berchères, non loin de la ville. Il ne sera partiellement achevé qu’en 1233.

Chartres annonciation cloture du choeur

En 1529 seulement aura lieu la clôture du chœur, mais ses bas-reliefs ne seront posés qu’en 1789 ! La cathédrale a laissé du temps au temps, comme disait Mitterrand, dans cette province agricole où tout pousse lentement.

Chartres christ fouette cloture du choeur

La voûte s’élève à 37 m de la surface, célébrant la joie d’être sauvé, la puissance de la ville et l’orgueil de l’Église dont le message religieux se décline en pierre et en verre au-dehors et au-dedans pour édifier les âmes.

Chartres choeur

Tout est symbole dans cet édifice de pierre. Du plan en croix dont le chevet, à 130 m du portail, pointe au soleil levant du solstice d’été, qui est aussi l’orientation du tombeau du Christ. Jusqu’à l’élévation de la voûte par trois étages, comme une trinité. Les fenêtres basses disent l’Église dans le siècle, prosélyte, les fenêtres hautes l’Église mystique, éternelle. De puissants arcs-boutants contrent la poussée de la voûte et permettent ces ouvertures vers la lumière.

Chartres vitrail bleu de chartres

Car « le beau XIIIe siècle », selon l’expression des historiens, valorise la raison, la lumière et la foi, l’une conduisant à la suivante, jusqu’au ciel par-dessus. Nef, transept et chœur, la cathédrale en plein jour, vers le sud, est spectacle de lumière. Ses vitraux au fameux « bleu de Chartres » enchantent le regard et donnent un ton riant, énergique, aux scènes symboliques. Nous sommes déjà, dans la nef, hors du monde, dont les rumeurs et les soucis viennent battre ses murs. Les malades étaient logés dans la crypte, galerie nord et la nef était emplie de pèlerins qui venaient y dormir, sur le chemin de Saint-Michel à Saint-Jacques.

Chartres portail nord

Au-dehors, les trois portails conduisant de l’Ancien au Nouveau testament depuis le nord (obscur et ancien) jusqu’au sud (lumineux et d’avenir). Le portail nord impressionne par ses statues hiératiques de prophètes anciens. Ils gardent la rigueur austère du roman tout en prenant quelques boucles gothiques, déjà.

Chartres prophetes portail nord

Le portail royal, par lequel on entre dans la nef en sa plus grande longueur, impose depuis le XIIe siècle le Christ régnant entouré des évangélistes et de personnages qui imposent.

Chartres portail royal

La cathédrale est vouée à la Vierge Marie et nul n’y est enseveli pour préserver la pureté du non-conçu et du corps non-putréfié. Le chœur arbore une Vierge en Assomption qui se voit de loin dans la nef. Henri IV y fut couronné roi le 27 février 1594.

Chartres vierge du pilier

L’entourent sept chapelles satellites, plus populaires et mieux accessibles aux fidèles, dont celle de la Vierge du pilier, qui contient une relique : ce fameux « voile » de la Vierge obtenu en Terre sainte et donné à Chartres par Charles le Chauve en 876.

Chartres christ

Huysmans et Péguy ont célébré la cathédrale, et ce dernier, homme de gauche mystique, entreprend en 1912 la première marche de Notre-Dame de Paris à Notre-Dame de Chartres, qui inspirera le pèlerinage annuel des étudiants lors de chaque Pentecôte.

« Et la profonde houle et l’océan des blés
Et la mouvante écume et nos greniers comblés,
Voici votre regard sur cette immense chape… »

(Charles Péguy, Notre-Dame de Chartres in La tapisserie de Notre-Dame)

Chartres clochers cathedrale

Cérémonie d’initiation chrétienne, fête du printemps pour jeunesse urbaine, démarche spirituelle épurée par l’effort physique, cet événement est un moyen d’être ensemble et de dire son message de foi.

Chartres regard

Même non croyant et sorti de la culture catholique, tout Français ne peut qu’être sensible à ce patrimoine vivant, qui témoigne des élans, des efforts et des espérances. Un regard de gamin surpris en direction des hauts de la cathédrale incite à la fraternité et rend de suite joyeux l’avenir.


De l’amour vers Katmandou

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Nous effectuons la pause déjeuner dans une clairière, au cœur de la forêt. Il y fait un peu froid sans le soleil, mais c’est le moment le plus agréable de la journée. Je poursuis une conversation philosophique avec Liliane qui est parisienne et psychanalyste. Elle est drôle et m’évoque la Maud du film culte Harold & Maud avec les chansons de Cat Stevens. Elle porte ses 60 ans à l’américaine, avec la hantise de paraître vieille. Cheveux teints en blond, portant des couleurs vives, elle se veut « jeune » dans sa tête.

maison du nepal

« L’amour ? Platon a dit tout ce qu’il fallait dire dans le Banquet, n’est-ce pas ? » L’amour est une activité dialectique, y est-il écrit il y a 2373 ans. Ah bon ! Mais l’amour n’est pas bonté ou beauté, il est désir de, affirme-t-elle. Cette tendance à posséder peut être atteinte par des voies différentes, selon Socrate, la procréation des corps ou celle des esprits. La seconde est plus noble pour un grec. La vision d’un beau corps (d’éphèbe) laisse entrevoir une âme noble qu’il faut former par des discours sages et l’exemple du courage et de la probité. Ces liens d’amitiés seront plus puissants et plus durables que ceux qui lient homme et femme. L’amour, j’en suis d’accord, c’est donc bien autre chose que les feuilletons à l’eau de rose ou les pâmoisons romantiques : l’amour, ne saurait se réduire au sexe. Et peut-être la sexualité empêche-t-elle d’ailleurs le véritable amour, comme un voile de Maya sur les choses ? Dans l’amour sexuel reste une volonté de possession, d’assouvissement, qui laisse dubitatif sur le désintéressement de l’amoureux (ou amoureuse). A l’inverse, l’amour filial, maternel ou paternel, ou l’amitié pure, sont des « amours » sans sexualité. J’en suis convaincu, l’amour n’est pas désincarné ; je déclare à Lily que ne crois pas à « l’amour de Dieu » parce que « Dieu » n’est que fantasme et que l’amour exige réciprocité. Le « pur amour » n’est qu’exaltation personnelle, une pathologie du « moi ».

Mais je ne parle pas de cela avec Elle, la philosophie l’ennuie très vite.

gamin nepal

Participe aussi Michel, professeur d’histoire et géographie au lycée français de Fribourg en Allemagne. Son indemnité d’expatrié, et les vacances scolaires lui permettent de voyager beaucoup. Il est très sensible au tiers-monde par mimétisme culturel avec ces Allemands écolos et un peu romantiques qu’il côtoie tous les jours. J’y suis moins sensible, plus réaliste et plus pragmatique, d’autant que je ne me sens nullement « coupable » des colonisations passées. Le monde change, à chaque époque ses marottes. Tout cela entraîne des discussions amicales mais fermes. Elle se tait, comme d’habitude. Elle pense lentement sur ces problèmes généraux et a peur de déplaire en affirmant des convictions. En fait, elle n’y a pas beaucoup réfléchi. Médecin réanimateur, elle est technicienne et ces vastes questions lui passent un peu par-dessus la tête. Elle préfère les gens concrets aux idées, ce pourquoi je l’aime bien.

neige a siwapuri nepal

Nous reprenons la grimpée sous les rhododendrons géants. Dans les clairières subsistent des plaques de neige, signe qu’il n’y fait pas chaud la nuit ! Et cela permet aux sherpas de repérer des traces de singes et de léopards, qu’ils nous montrent avec une certaine crainte. Ils parlent de « tigre », mais c’est vraiment petit pour un « tigre », même si le tigre du Bengale existe dans certaines parties du Népal. Un singe bien vivant paraît et disparaît presque aussi vite. Il a froid et s’élance se cacher. Quelques oiseaux volent de-ci delà, mais nous en voyons peu. Ils chantent moins en cette saison que dans les forêts européennes de l’automne.

nepal camp siwapuri

Le campement est installé à Siwapuri Dara, sur un plateau vers 2600 mètres d’altitude qui fait face aux Himalaya. Le thé sert d’apéritif au repas traditionnel qui suit, de riz sauce lentilles et légumes au curry. Comme hier, le feu crépite et nous nous serrons contre sa chaleur et sa lumière en sirotant le thé. Il fait froid comme d’habitude. Une fois la nuit tombée, les porteurs entonnent des chants locaux et se mettent à danser.

A la surprise de Christine qui lui donnait 13 ans, le plus jeune des cuisiniers non seulement en a plus, nous dit Tara (elle ne nous dit pas combien) mais danse remarquablement. Il a de la souplesse, un sens aigu du rythme, et la hardiesse de dessiner des figures originales. Il meut son corps jeune comme un peintre son pinceau, créant du volume en harmonie par ses mouvements encodés. Sa réputation est faite car les autres l’entraînent et l’incitent à danser. Sa jeunesse, sa fraîcheur, sa gentillesse, sa virilité encore neuve, le rendent sympathique aux Népalais plus âgés. En revanche, le jeune éphèbe à l’air chinois, mince comme une liane et au visage de poupée, qui porte le sac de Christine et est si résistant comme porteur, est resté ce soir très discret. Il sourit aux blagues des autres mais ne parle presque pas. Cela ne l’empêche pas de porter la journée ses trois sacs comme les autres, penché en avant, la corde passée sur le front, bien assuré sur ses tongs. Il a 20 ans nous dit Tara, mais il en paraît 15 ! Christine – apparemment obsédée par tous ces petits jeunes – n’en revient pas.

nepalais

La nuit est très froide et surtout très humide. Appareil photo, rasoir à piles et lampe de poche dorment avec moi au fond du duvet car les batteries détestent le froid humide. Sur deux lampes, une ne fonctionne déjà plus. Ne plus oublier en montagne d’emporter des piles de rechange.



Antipolitique ?

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A quoi servent les gouvernants, sinon à gouverner ? Mais lorsqu’ils donnent le sentiment de n’avoir aucune vision de l’avenir du pays, lorsqu’ils multiplient les mesurettes bien loin de l’ampleur des problèmes à la résolution desquels auxquels ils disent s’atteler, lorsqu’ils se défaussent sur « les autres » (les États-Unis, la Finance, Bruxelles, l’OTAN, les régions…) – à quoi peuvent-ils bien servir ? A inaugurer les chrysanthèmes, comme on disait du président de la IIIe République ?

La contestation grandissante, en bas dans le peuple qui vote extrémiste (de droite) et en haut chez les intellos qui critique la gauche, la droite et les partis, est moins contre l’arbitraire que contre l’impuissance. Avant, les gouvernant gouvernaient et leur contrainte était contestée ; maintenant, les gouvernements ne font rien et leur mollesse fait se débander non seulement les militants, mais aussi les citoyens.

politique

Ce n’est pas manque d’intérêt pour la chose politique, c’est le manque d’intérêt pour le blabla de com’. Ce n’est pas montée de l’égoïsme et du repli sur soi, c’est la montée de l’exaspération pour les édredons politiciens. Non seulement l’élite qui gouverne n’est pas à la hauteur, mais elle empêche même les décisions – par inertie, par habitude, par procédures, par copinage, par tabou idéologique, par peur de déplaire aux roquets de la Morale. Les gouvernants – président, ministres, sénateurs, députés, conseiller généraux – sont devenus professionnels de la politique. Ils ont acquis l’expertise qui va avec – mais accru l’écart avec les simples citoyens, par le jargon et l’entre-soi. Les pros ne parlent qu’aux pros, pas aux prolos.

C’est le temps des experts, ceux qui sont censés savoir, malgré leur domaine souvent étroit et leur culture générale souvent déficiente. L’économie, c’est une grande matière ; l’économisme est une vision étriquée. Gouvernants et technocrates n’écoutent jamais les gens, mais les médias et les sondages. Ils ne répondent jamais aux véritables questions, mais aux grands principes de parti. Ils ne résolvent pas les problèmes mais considèrent qu’il suffit de « faire une loi » et basta. Être proche des gens, ce n’est pas jouer au bouffon sympa, mais c’est comprendre la vie au ras des gens pour répondre à leurs vraies préoccupations : chômage, santé, retraite, civilité. L’insécurité nationale, sociale et culturelle fait plus de ravages que les « graves questions » blablatées à longueur de discours par les orateurs de tribunes.

  • Ce n’est pas l’immigration qui est un problème en soi, c’est l’intégration, donc un certain islamisme : que fait le gouvernement pour répondre à cette préoccupation légitime ? De la morale et du déni, plus préoccupé par les syndicats enseignants que par l’avenir de la société…
  • Ce n’est pas le manque de travail qui pose question vraiment, c’est la peur d’embaucher des patrons soumis aux règlementations et taxes qui s’accumulent sans ordre et constamment, c’est la crispation des syndicats qui veulent à tout prix « conserver » les acquis de leur minorité électorale – et tant pis pour l’emploi des autres (voir les pilotes d’Air France).
  • Ce ne sont pas les impôts en soi qui sont contestés, c’est leur remaniement chaque année, le « toujours plus » – tandis que le déficit du Budget et les dépenses de l’État (y compris le « nombre des fonctionnaires ») ne baisse pas.

C’est le mensonge et l’impuissance, les promesses jamais tenues, le déni des réalités nationales, sociales et culturelles des bobos confits entre eux autour de Science Po et l’ENA, ne connaissant rien à la banlieue, ni à la province, ni à l’entreprise – c’est tout cela qui exaspère les électeurs citoyens.

tout est possible

Ces derniers se disent qu’après tout, autant élire un vrai bouffon que les faux qui nous gouvernent. Beppe Grillo en Italie, le maire de Reykjavik en Islande, le maire de Londres, sont-ils plus mauvais que les pros de la pol ? Les intellos français se disent qu’après tout ils pourraient y aller, comme Jacques Attali, Dominique Reynié, Michel Onfray peut-être. S’il suffit d’être médiatique pour être connu, donc élu, pourquoi feraient-ils plus mal que les élus devenus connus, donc médiatiques ?

Il y a un problème d’équilibre des institutions en France depuis Mitterrand. Ce pourquoi une commission planche sur le sujet. Mais son rapport servira-t-il une fois de plus à caler les armoires ? Un seul mandat présidentiel de 7 ans (ce que voulait Raymond Barre) est probablement plus intelligent que deux mandats étriqués de 5 ; un Premier ministre enfin gouvernant (comme le prévoit la Constitution) est probablement plus habile que l’hyper-présidence touche-à-tout qui ne décide jamais de rien, éternellement dans la « synthèse » ou la course à la suite ; une dose de proportionnelle aux Législatives permettrait peut-être moins de démagogie en faisant entrer aux Parlement des extrémistes qui seraient mis au pied du mur des votes à décider.

Rien ne va plus, que les prébendes. Mais si l’on veut réhabiliter la politique, il faut sortir les sortants (comme les ex-sortants) et faire en sorte qu’on ne les revoie plus !


Autres temples népalais

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Le petit-déjeuner d’œufs frits, de toasts et de thé au lait nous leste pour la (demi)-journée. L’étape début par une descente en forêt jusqu’au monastère de Nage Gompa (gompa veut dire monastère) où nous accueille une nonne bouddhiste en robe grenat. Elle s’est faite moniale à l’âge de treize ans.

ferme valle de katmandou nepal

Un vieil édenté tourne inlassablement autour du monastère, un moulin à prières tournoyant lui-même à la main, en marmonnant une suite presque inintelligible des syllabes sacrées qui tournoient : « Aum mani padme aum ». « Aum » est la fin et le commencement, le cosmos. « Je salue celui qui est assis sur la fleur aux mille pétales ». Dans le monastère, derrière une vitre, figurent Bouddha, le Sakyamouni historique, Padmasambhava qui a porté le bouddhisme au Tibet et est représenté avec de fines moustaches, et le Karmapa, chef d’une secte tibétaine bouddhiste. Les temples comprennent toujours une multitude de figures sacrées. Tara nous dit que dans les Vedas il y aurait « trois milliards » de dieux ! (Je n’ai pas vérifié, c’est un peu long à compter).

nepal tara nage gompa

Elle nous explique un peu le bouddhisme, à cette époque, je n’y connaissais presque rien. Le Bouddha historique est né au Népal, dans le sud du pays. Sakyamouni est son nom, il signifie le maître (mouni) du clan Sakya. Son prénom est Siddartha. « Bouddha » signifie l’Éveillé, celui qui a pris conscience, « bodi » est l’intelligence. Il était prince et a eu une illumination à seize ans en découvrant la réalité de la vie : la maladie, la vieillesse et la mort. Il n’a eu alors de cesse de découvrir la vérité de l’existence et de méditer sur la sagesse qui permet de sortir du cycle des renaissances et des morts. Quant à Krisna, le bel adolescent représenté en bleu qui séduit les bergères, il est la huitième incarnation de Vishnou. On le fête au Népal mais la secte connue en occident est une invention américaine, selon Tara. Les fidèles effectuent dans le temple une offrande de beurre de yack qu’ils font brûler dans des bols à l’aide d’une mèche. C’est fumeux et nauséabond, surtout lorsque le beurre a ranci. Mais la lumière est belle, petite et animée comme une âme, flamme vivace qui symbolise l’espérance.

Dans le temple, avant de le quitter, Tara allume une bougie pour chacun d’entre nous, devant les bols à offrande emplis d’eau pure, offrandes miroirs où chacun fait venir ce qu’il veut.

nepal panorama

À la pause de midi, Tara poursuit sur le bouddhisme et ses monuments. Nous irons voir le grand stupa de Bodnath. Autour du stupa il y a beaucoup de moinillons. Ils vont à l’école au Népal jusque vers 13 ou 14 ans et choisissent ensuite s’ils veulent devenir moines ou pas. L’intérieur n’est pas creux malgré ses dimensions imposantes. On ne peut pas y pénétrer, c’est le domaine de Bouddha. Mais on peut en faire le tour et même monter dessus. Avant, on fait une offrande à Arati, déesse mère qui protège les enfants des maladies, et à Ganesh, le dieu à la tête d’éléphant qui plaît beaucoup à Christine pour son air débonnaire. Fils de Shiva, Ganesh est dieu du savoir, de la vie, de la famille. Il est heureux, ventre rebondi, bonne tête de pachyderme souvent entourée de fleurs. Sa fête est la plus importante de l’année pour les hindouistes. Il est alors emmené en procession sur un char décoré de feuilles et de fleurs. On jette devant lui des noix de coco. Symboles de persévérance, ces fruits évoquent aussi les difficultés que l’on doit briser. L’hindouisme, comme Gide, recommande de faire craquer ses gaines.

nepal ferme

Le repas est préparé par nos cuisiniers qui suivent le trek à pied en emportant sur leur dos tout leur matériel. Ils nous ont préparé ce midi une assiette traditionnelle de riz et de légumes mijotés au curry, de fanes vertes cuites à l’eau comme des épinards, et la viande. Le soir, il s’agit de vrais morceaux ; à midi elle consiste en provision apportée depuis la France : saucisson, jambon séché ou fromage. Les plats repassent toujours, la tradition est de deux services coup sur coup. Christine en reprend à chaque fois et je lui en fais malicieusement la remarque. Son tour de taille et sa carrure sont déjà marqués par l’embonpoint et elle risque de finir son existence sous la forme d’une barrique, lui dis-je avec emphase. Elle rit et reprend du dessert, ce qui ne porte pas à conséquence puisqu’aujourd’hui ce sont des quartiers d’oranges épluchés par nos cuisiniers aux petits soins mêlés à des quartiers de pommes. La marche donne soif. Nous buvons du thé avant le repas, puis après. À ce régime et avec l’humidité ambiante, l’eau de la gourde est presque inutile la journée. Les étapes de marche sont courtes et faciles. Dans ce trek, nous sommes gâtés. Les sherpas qui nous accompagnent la journée vont devant et derrière le groupe pour que nul ne se perde. Si quelqu’un a envie de pisser, il est attendu.

nepal valle katmandou thana dara

Nous descendons vers Katmandou par la crête du Dana Dara. Le bassin où se situe la ville est dans la brume. Le soleil la fait lever peu à peu, à mesure que la journée avance. Un soleil fort lorsque nous sommes au-dessus des nuages. Nous traversons quelques fermes réduites à un bâtiment d’habitation devant lequel s’étend une cour sur terrasse. Nous pouvons sacrifier aux photos typiques de gamins et de paysannes. Je ne peux cependant m’empêcher de songer que la prise de vues en ligne à cinq ou six à la fois, fait un peu vautour. Seule Françoise est plus naturelle. Elle parle, elle sourit, elle caresse les enfants, fait des gouzis-gouzis aux bébés, flatte les mères – et prend la photo. Cela passe mieux. Mais Françoise est une maîtresse femme, elle est plus âgée que nous, dirige une boutique de mode masculine chic dans Paris, place de la Madeleine, et finance la scolarité d’un enfant népalais dans un village international du pays.

gamin en guenilles nepal

Je me contente de sourire et c’est déjà plus détendu. Je pratique comme je peux cette forme de relation-minute à mesure que nous passons. C’est ainsi que je capte la photo d’un petit en tongs, manches arrachées, col déchiré et pantalon informe, mais l’air grave et le teint caramel. Il est nu sous ces hardes, mais chaud et heureux. Heureux d’exister, tout simplement. Cette évidence me pénètre tandis que je lui souris et que je vois son visage soudain s’éclairer comme l’aurore sur la montagne.

nepal temple gokarneswar

Le temple bouddhiste de Gokarneswar est très simple, élevé au bord de la rivière Bagmati, eau sacrée où se font les crémations parce qu’elle se jette dans le Gange. Une bande d’enfants rieurs nous accompagne. Un gamin assez beau d’à peu près dix ans porte une boucle en or à l’oreille gauche. Non sur le lobe, mais au sommet. Tara me dit que c’est un porte-bonheur que l’on met aux enfants très tôt et qui est réputée chasser les maladies.

gosses nepal gokarneswar

Le temple est soutenu par des poutres de bois sculpté et entouré de statues en pierre de divinités. On fait le tour de l’édifice dans le sens des aiguilles d’une montre pour aider la création à tourner dans les normes. Ce bois ouvragé est superbe. Tara raconte chaque scène, mais on se perd vite dans ce foisonnement innombrable du panthéon local.


A boire et à manger à Tahiti

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Qui veut des escargots au beurre aillé ? C’est à Rimatara (Australes) que cela se passe. En apparence, ce sont des escargots géants, venus d’Afrique, qui ont envahi les plantations. Et quand on sait que les Australes sont le garde-manger de Tahiti, il y a de quoi s’inquiéter. Les habitants de l’île se sont mobilisés pour éradiquer cette espèce qui ravage les champs et qui met l’escargot endémique (partula hyalina) de Rimatara en grand danger.

escargot beurre ail

On ne connait pas l’origine de la présence de ces escargots africains, escargots géants (Lissachatina Fulica) qui mesurent environ 8 cm de long, mais peuvent dépasser les 20 cm pour un poids qui peut aller jusqu’à 1,5 kg. Ce morfale dévore les tomates, les pota (bettes chinoises), les choux, les salades et les escargots de Rimatara, ces escargots endémiques qu’utilisent les Mama pour confectionner les couronnes de coquillages. Qui a introduit ces bestioles ? Nul ne le sait mais ON accuse une femme d’un village qui aurait… En principe, toute plante, fruit, graine quittant Tahiti pour les îles doivent passer par le phytosanitaire ! Ce sont plusieurs tonnes de ces vilaines bébêtes qui ont été ramassées par les habitants et ont fini leur vie sur une plage d’Amaru dans un trou recouvert d’eau de mer. Pourvu que la Société protectrice des animaux ne soit pas mise au courant !

Des sacs pour fruits et légumes réutilisables ? Une bonne idée éco-citoyenne ! Après les sacs de courses réutilisables, voici ses petites sœurs pour les fruits et légumes. L’idée vient de la fondatrice de Green ID qui ne compte pas s’arrêter là. Ces sacs sont blancs, en maille polyester, légers, lavables en machine. [Pas très biodégradable ni recyclable, le polyester… pas très écolo / note Argoul]. Ils sont doublés en leur centre d’un carré de coton décoratif qui permet de coller l’étiquette après la pesée. Il existe 5 motifs différents sur les carrés de coton : une feuille et un fruit de uru, une tortue, un tiare, une carte de Tahiti et un hibiscus.

the

De l’eau potable, où ça ? Ben à Bora Bora la perle du Pacifique ! Depuis le début de l’hiver austral il a beaucoup plu mais nos robinets ne nous donnent pas une goutte d’eau. A Bora Bora ils ont de l’eau douce. Les 10 000 habitants de l’île et les 100 000 touristes annuels bénéficient d’eau potable ! La première usine de dessalement d’eau de mer y a été installée en 2001. Deux autres unités ont été installées depuis. Bora Bora ce sont 11 hôtels, dont 8 sont classés LUXE, 4 et 5 étoiles. Pas question de priver d’eau potable à gogo cette population habituée à un confort absolu. Il en allait de la réputation mondiale de Bora Bora. Mais tout cela a un coût – un coût élevé. Ici, l’eau au robinet est l’une des plus chères de Polynésie : 65 XPF le m3 pour la tranche sociale jusqu’à 10 m3, puis 165 XPF au-delà des 10 premiers m3 et même 800 à 900 XPF pour les très gros consommateurs, les hôtels. Le dessalement de l’eau de mer par osmose inversée est une technique coûteuse en maintenance et en énergie. Il faut 3 m3 d’eau de mer pour tirer 1 m3 d’eau douce et surtout, quand 1 m3 d’eau douce nécessite, par les moyens classiques, 3,7 Kw pour devenir potable, l’osmoseur en consomme plus.

Hiata de Tahiti


Stupa de Bodnath

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Un minibus nous attend ensuite pour nous conduire à Bodnath, que nous évoquions ce midi. Les porteurs ont fait déposer nos bagages à l’hôtel Tara Gaon.

grand stupas de bodnat nepal

Nous visitons alors le grand stupa. C’est une coupole couleur d’œuf d’autruche qui évoque une pièce montée munie de deux yeux bridés qui nous regardent. Le nez en forme de point d’interrogation nous questionne. Les tissus à prières attachés aux mâts alentour claquent à la brise. L’énormité du monument, ces yeux peints, ces symboles, sont fascinants. Comme la vie qui continue à son ombre. Des gamins jouent en bandes sur les terrasses.

troisieme oeil de bodnat

Autour du monument s’ouvrent des boutiques de souvenirs où l’on fait le plus prosaïque commerce. Des scènes de rue pittoresques témoignent que l’on n’est pas ici dans un équivalent de Lourdes ou de Saint-Pierre de Rome. Le sacré participe de la vie quotidienne. C’est ainsi que s’ouvre, en face d’un temple, une boutique à l’enseigne de « Bouddha Provision Store », un bazar empli de caisses de bières et de boites de conserve. Il est envahi de petits enfants qui jacassent et qui jouent sur ses marches ouvertes sur la rue.

bouddha provision store bodnat nepal

Nous assistons en spectateurs à la cérémonie du soir d’un petit temple bouddhiste qui s’ouvre sur la place du stupa. Les prières chantées sont répétitives, rythmées par le tambour, que viennent supplanter parfois les sons discordants des trompes tibétaines et des cymbales. Les moines regardent ailleurs tout en psalmodiant, et même rient, l’esprit ailleurs.

temple sculpte a bodnat nepal

La cérémonie est un rite qui doit être accompli, pas une prière personnelle. Répéter vaut, l’attention n’est pas requise. Nous laissons quelques billets en offrande, dans la fumée d’encens et l’odeur du beurre qui grésille autour des mèches.

monastere tibetain bodnat nepal

Nous visitons un peu plus loin un monastère tout neuf en béton. Dans l’oratoire fraîchement repeint, les couleurs explosent dans des scènes naïves et criardes. Dieux et démons sont emmêlés (comme dans la vie ?), un grand Bouddha au visage de terre est vêtu d’or et de pierres précieuses, lui qui a tout quitté pour aller méditer nu. Il trône maintenant vêtu en prince derrière une vitre.

bouddha de bodnat nepal

Le moine en robe grenat qui nous explique le temple ne parle pas népali mais tibétain et anglais. Il est à Bodnath depuis trois ans seulement et fait partie de ces réfugiés tibétains qui se sont installés au Népal pour exercer librement leur culte, sévèrement contrôlé par les envahisseurs chinois du Tibet. Un moinillon de 14 ans le rejoint, glissant silencieusement sur ses pieds nus. Lorsque l’adulte s’aperçoit de la présence de l’enfant, il lui presse discrètement les mains. Geste de tendresse pour un filleul exilé comme lui en terre étrangère ; geste de maître pour son disciple.

moine tibetain bodnat

On assiste souvent à des gestes d’affection de ce genre en public, entre adultes et enfants ou entre pairs, les mains sur les épaules, la prise des deux mains, la pression d’une main sur le bras, la caresse de la nuque ou des cheveux. Tous ces gestes de gentillesse et d’abandon que nous n’osons plus faire dans nos pays coincés par la morale judéo-chrétienne. Cela « pourrait » être mal interprété par les pisse-froid qui ont la hantise de leurs propres pulsions et s’empressent de les voir chez les autres, complaisamment. Un « toucher » peut-être trop animal pour nos conceptions binaires du Bien et du Mal, de l’Esprit et du Corps, du Pur et du Sale – toutes ces inepties sorties de la Bible ?

gamin demi nu bodnat nepal

Le soleil se couche. Il fait tout de suite froid, bien que nous soyons largement redescendus en altitude. Des gamins, pauvrement vêtus, ne portent parfois qu’une veste sur leur poitrine nue. L’hôtel est confortable et nous change de la tente, mais il n’a pas de douches chaudes.


Au nom d’Allah le très haut, le tout miséricordieux

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Eh oui, au-delà des huit terroristes dont cinq Français arabes mal dans leur peau issus de la délinquance, c’est bien d’islam qu’il s’agit… Plus de 130 morts et plus du double de blessés, malgré le raté du stade de France. Paris touché au cœur de son métissage bobo dans les quartiers mélangés du nord-est, Paris « la capitale des abominations et de la perversion », où « des centaines d’idolâtres » étaient réunis « dans une fête de perversité » selon le communiqué de Daech : ne voilà-t-il pas une conception de la religion comme quelque chose qui exclut plutôt qu’elle n’unit ?

Religion ou secte ? Si la religion unit les peuples et vise à l’universel, cette religion-là, l’islamique intégriste, salafiste issue du wahhabisme saoudien, est réservée aux seuls croyants, à ceux qui lui font allégeance. Miséricordieux, Allah ? Pour ceux qui se font sauter, ils le souhaitent ardemment, mais seulement pour eux – car ils imaginent aller direct au paradis peuplé de houris et d’éphèbes, où tout ce qui est « interdit » ici-bas est permis en-haut. Pour cela, il faut quitter ce monde mais, comme le suicide est trivial et mal vu, il faut le parer les palmes du martyre, entraîner avec soi des dizaines de mécréants comme hier les tribus ramenaient leurs lots de captifs voués à l’esclavage. Mais oui, c’est toujours bien de l’islam qu’il s’agit.

paris attentats du vendredi 13 novembre 2015 carte

Certes pas la version policée par les siècles de réflexions des érudits, mais celle des origines, toute à feu et à sang, où tous les autres, ceux qui ne croient pas comme vous, sont à zigouiller sans merci. Du temps où la gauche pensait (temps aussi lointain que celui où les bêtes parlaient), Cornélius Castoriadis le disait du communisme, cette autre religion dévoyée dans les massacres de masse. Pour sa démonstration contre, il prenait en exemple le christianisme, aux Évangiles pourtant nettement moins vengeurs que le Coran. Lui l’économiste de l’OCDE, psychanalyste et philosophe né Grec à Constantinople, devenu communiste pour résister aux nazis dans la Grèce de 1941, puis émigré à Paris où il rejoint les rangs trotskistes (comme Jospin) devant le cynisme antidémocratique du Staline après-guerre – lui n’avait pas de leçons à recevoir des » pseudo-intellos » (comme dit la ministre de gauche) qui ne lui arrivent pas à la cheville. « Pas d’amalgame » ? Nous attendons toujours la réforme de l’islam, comme fut celle du christianisme.  Castoriadis :

« Il faut aussi parler du destin historique du marxisme. Il est étrange de voir des gens qui se proclament marxistes ou veulent ‘défendre Marx’ et ignorent avec acharnement cette question. Pourrais-je discuter du christianisme en disant : ‘l’Inquisition, je m’en fous ; le pape, c’est un accident ; la participation de l’Église catholique à la guerre civile espagnole aux côté de Franco, ce sont des prêtres empiriques. Tout cela est secondaire par rapport à l’essence du christianisme, laquelle se manifeste dans telles phrases des Évangiles’. Le christianisme est une réalité sociale et historique instituée depuis deux mille ans : cette réalité, certes infiniment complexe et ambiguë, a quand même une signification que je ne peux à aucun moment ignorer ». Substituez islam à christianisme et vous aurez « la réalité sociale et historique » de l’islam – n’en déplaise aux bobos de gauche qui veulent tout minimiser au nom d’on ne sait quelle synthèse politiquement correcte.

Castoriadis poursuit : « Je ne peux pas faire autrement quand il s’agit du marxisme. Certes, il n’a pas deux mille ans, il n’en a que cent vingt (à la date d’écriture, en 1974), mais dont les soixante derniers sont historiquement très lourds. La réalité du marxisme est d’abord, à un degré écrasant et qui prime tout le reste, qu’il est l’idéologie dont se réclament les régimes d’exploitation et d’oppression totalitaire qui exercent leur pouvoir sur un milliard d’hommes et de femmes » p.55. Même chose pour l’islam : quelques dernières années « très lourdes » historiquement, « réalité d’oppression et de totalitarisme » sur les jeunes et sur les femmes principalement. Il n’y a de religion qu’incarnée, qu’elle soit chrétienne, musulmane ou communiste. On ne juge les arbres qu’à leurs fruits. Et c’est bien de l’islam qu’il s’agit.

Toute croyance est comme une drogue pour oublier sa faiblesse et son mal-être, toute croyance offre le refuge imaginaire où abdiquer sa liberté, dont on a peur. La croyance, qu’elle soit juive, chrétienne, musulmane, communiste ou autre, euphorise à petite dose, elle aide à supporter sa vie lorsqu’elle apparaît trop minable. À forte dose, elle conduit au délire, à quitter la réalité ici-bas pour le rêve en-haut, à mépriser la vie humaine et à désirer mort et destruction, souvent par compensation : ce qu’on n’ose désirer, il faut le détruire. Le Paris bobo du mariage homo ? La mixité festive ? Le sport qui unit blacks-blancs-beurs ? Il faut faire sauter toutes ces « perversions » dans des déluges de feu, comme Sodome et Gomorrhe.

Pour la secte islamique de Daech, la stratégie est d’utiliser les ressortissants d’un pays « impie » pour susciter une guerre civile dans ce « ventre mou » occidental qu’est l’Europe. Où l’islam est inféodé aux conservateurs algériens ou financés par des imams (parfois) fanatiques des Émirats et d’Arabie saoudite. Les États-Unis savent se défendre, on l’a vu en Afghanistan, en Irak, avec l’éradication de Ben Laden. Mais l’Europe ? Trop peu, trop tard, trop gênée par la culpabilité ex-coloniale et par la naïveté chrétienne (belge) ou de gauche (française). Utiliser les néo-musulmans des banlieues et des campagnes, pour près de 40% d’ex-cathos en manque de repères et d’obéissance, comme une cinquième colonne pour susciter lynchages, pogroms et montée du Front national, pour dresser basanés contre blancs, laïcs contre croyants – voilà ce qu’ils veulent. Sans parler de punir « au nom d’Allah le miséricordieux » tous ceux qui s’opposent à leur état islamique autoproclamé : Russie, Turquie, Liban, France. L’internationale de la terreur est l’autre nom du Komintern islamique. Car c’est bien toujours d’islam qu’il s’agit.

Le choix d’un vendredi 13, est-ce un hasard ? Il est curieux que personne, à ma connaissance, ne l’ait mentionné : le vendredi est le jour de la mort du Christ, où Adam et Ève furent chassés (dit-on) du paradis, où Caïn tua Abel, où Hérode fit massacrer les Innocents… Vendredi est le jour où débute le Sabbat et où surgissent démons et spectres. Selon la coutume arabe, il faut commencer les labours le vendredi : ce qui laisse augurer une suite aux attentats de Paris… Le 13 est le chiffre de la Cène où le treizième convive, Judas, trahit le Christ pour trente deniers. C’est aussi dans le treizième chapitre de l’Apocalypse que sont évoqués l’Antéchrist et la Bête. Est-ce vraiment un hasard pour ces « croyants » pénétrés de l’eschatologie du Livre ?

cornelius castoriadis une societe a la derive

Dans un autre texte, datant de 1992, Castoriadis parle de l’islam. « Que faut-il dire des autres ? Ceux qui, par exemple, sont prêts à tuer ceux qui ne pensent pas comme eux ? À tuer Salman Rushdie ? Est-ce qu’ils sont ‘inférieurs’ ? On dira aujourd’hui qu’ils sont différents. Mais nous ne pouvons pas tenir ce que nous pensons de la liberté, de la justice, de l’autonomie, de l’égalité, en nous contentant de parler de ‘différence’. C’est ce que fait pourtant l’immonde salmigondis pseudo-gauchiste, ou pseudo-démocratique contemporain, qui se limite justement là-dessus à des bavardages sur cette «’différence’. Il y a des gens qui croient à la liberté et à la démocratie, et puis il y a des gens qui croient qu’il faut couper les mains des voleurs. Les Aztèques faisaient des sacrifices humains. Est-ce une simple différence ? (…) Nous voulons instaurer une société autonome, et si nous le voulons, c’est évidemment que nous la jugeons préférable à toute autre forme de société actuelle ou envisageable, donc (…) supérieure. Mais sachant ce qu’est l’autonomie, et ce qu’elle présuppose, il ne nous passerait pas par la tête de vouloir l’imposer par la force aux autres. Il y a une fine crête sur laquelle aussi bien dans le présent que dans un avenir moins déplorable (…) nous devons marcher » p.123.

Nous devons être plus durs en ce qui concerne nos libertés, dont la première est la liberté d’expression.
Plus durs sur les valeurs qui sont les nôtres, laïcité et place des femmes.
Plus durs envers les iréniques, les cépaleurfôte, les protecteurs des pôvres ex-colonisés (le dernier il y a deux générations) qui ont bien « le droit » à la « compréhension » s’ils se vengent.
Plus durs contre toutes les croyances et leurs dérives sectaires.
Plus durs envers les imams qui prêchent la haine, l’islam qui ne se réforme pas et pour les voyous qui entassent des armes pour venger leur inaptitude.
Plus durs et plus clairs dans notre politique étrangère, parfois menée un peu trop légèrement, sans souci des moyens nécessaires ni des conséquences.

Pour le reste, François Hollande fait le boulot, il a enfin compris : consulter, décider, exposer – et agir vite – enfin !

Cornélius Castoriadis, Une société à la dérive – entretiens, 2005, Points essais 2011, 390 pages, €10.30

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